A partir d’un fait-divers dérangeant (une nounou parfaite tue les enfants dont elle a la garde), cette jeune romancière ose un thriller social glaçant qui impressionne bien après avoir refermé le livre.
© C. Hélie/ Editions Gallimard
« Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas souffert » C’est par ces petites phrases que débute le deuxième roman de Leïla Slimani, Chanson douce. Autant vous dire qu’on est loin de la berceuse qu’évoque le titre… La romancière ne fait pas dans la demi-mesure et expose crûment le fait : Louise la nounou a tué de ses propres mains Adam, un nouveau-né, et Mila, sa plus grande soeur de quelques années, les enfants de Myriam et Paul dont elle avait la garde quasi-permanente. La réalité s’est passée aux Etats-Unis il y a quelques années, elle est romancée – à peine – à Paris de nos jours.
La légère frustration de savoir la fin dès le début, est rapidement gommée par le dessein du roman : remonter aux origines du drame – et du Mal en l’occurrence, pour en extraire tous les facteurs, les causes, les symptômes et les raisons. Comprendre l’engrenage sournois et indicible qui a conduit à cette horreur. Le pourquoi du comment, écrit ici de manière parfaite, froide et cinglante, jusqu’au dénouement final.
La grande force de cette comptine écrite, c’est d’inscrire les faits dans une réalité et un environnement qui pourra certainement être compris et assimilé par tout jeune parent : celle de la dépression post-accouchement, puis les premières années la tête dans le guidon maternel, jusqu’à se couper du monde, des autres, pour ne se consacrer qu’à ses progénitures, les chérir, puis s’ennuyer, ne plus les supporter, avoir envie d’ailleurs, de renouveau… Ces phases, tellement vraies souvent, sont ici magistralement décrites, et embarquent du coup le lecteur dans les profondeurs psychologiques de ses personnages. Slimani colle au plus près de ses « acteurs » tant elles les sondent, les malaxent pour faire émerger leurs défauts, leurs doutes, leurs actions.
Un couple qui essaie de gérer au mieux ses crises, son devenir, Louise la nounou salutaire qui vient soulager ce petit monde au bord de l’asphyxie, sa perfection dans son rôle de babysitter/femme de ménage/deuxième maman qui soulage le quotidien du couple qui se retrouve à nouveau, et petit à petit l’immixtion des uns dans la vie des autres, la jalousie, l’envie, le rapport de classes (le couple est dans les normes dites « bobo » actuelles quand Louise galère dans tous types de problèmes sociaux et économiques) – tout se mélange, se pervertit, et mène au drame attendu.
Et dans ces pages, qui se dévorent comme un thriller psychologique, non sans rappeler des films tels La main sur le berceau ou des scénarii à la Claude Chabrol, Leïla Slimani dissèque son petit monde qui devient fou avec un brio épatant, sans jugement qui affleure, ou pathos maladroit. Ce qui décuple l’effroi et la tristesse du lecteur qui assiste à cette descente aux enfers inéluctable, mais qui pourtant, sans excès ni coups de sang, diffuse son venin social tranquillement, de manière sourde.
En lice pour le prix Goncourt de 2016, Chanson Douce est une vraie réussite, tant le roman de genre (sorte de thriller psychologique) assez peu usité dans le roman français se teinte ici d’une peinture sociale bien acide et tellement réaliste que le mélange, sec et tranché, hante le lecteur bien après avoir refermé l’ouvrage.
Jean-François Lahorgue
Chanson douce
Roman français de Leïla Slimani
Editeur : Gallimard
240 pages – 18€
Date de parution : août 2016