Bon Iver va faire couler beaucoup d’encre avec ce troisième album. Il va également diviser et provoquer de petits remous dans la blogosphère. A vous de juger !
Autant dire que Justin Vernon est un peu attendu comme le messie avec ce troisième album de Bon Iver, 22 A Million. Il y a bien une chose que l’on ne peut lui enlever, c’est l’émotion que l’on a ressenti à l’écoute de For Emma Forever Ago à sa sortie en 2008. Ce disque enregistré dans la douleur, par la douleur et pour la douleur dans une cabane au fond des bois dans le nord du Wisconsin. Un enregistrement qui fit suite à une déception amoureuse… le plus beau des programmes pour le commencement d’une carrière.
Avec ce premier disque, on découvrait une voix singulière, tout en falsetto et en fragilité. Il y chantait les cœurs perdus et les grands espaces. Depuis, nombre ont retenté avec plus ou moins de brio le coup de l’isolement dans le chalet. Cela tournait souvent au fiasco en mode Walden qui a mal digéré Into The Wild. Tout récemment, le seul qui s’en soit tiré haut la main de cette expérience de catharsis à travers le replis sur soi, c’est Martin Craft et son Blood Moon révélé dans la vallée de la mort.
Depuis, Justin Vernon a sorti un second album qui a fini de révéler l’émergence d’une figure singulière et attachante. Pour bien nous faire comprendre son envie d’aventure, le patron en chef de Bon Iver collabore un temps avec James Blake pour un EP dont on sent encore bien des traces dans 22 A Million.
Autant dire de suite que ce troisième chapitre dans l’histoire du groupe risque de faire couler beaucoup d’encre. Il y a à craindre également qu’il déroute au même titre que certains choix de production pouvaient laisser interrogateur sur la seconde production… les arrangements de saxophone en particulier. Ceci étant dit, on ne peut quand même affirmer que le sobrement nommé Bon Iver (2011) était bien dans la pure continuité de For Emma Forever Ago. Il n’en va pas de même avec 22 A Million qui mène l’univers de Justin Vernon vers quelque chose de plus complexe et de plus destructuré.
22 Over Soon en ouverture ne choisit pas entre une symphonie de poche et un déraillement programmé. C’est un peu comme si le père Vernon s’amusait à passer à la moulinette ses mélodies claires. On serait quelque part à un croisement entre Melodium et Tuung. On ne saura jamais qui de la Folk ou de l’électronique gagnera. On y retrouve à nouveau le saxophone comme un pont entre les genres. On trouve chez Justin Vernon cette désorientation qu’on aime tellement chez Daniel Bejar de Destroyer
Passé au broyeur la mélodie de 10 Deathbreast également. C’est sans doute un des titres où l’on retrouve le plus ce qu’a pu apporter à Bon Iver sa collaboration avec le petit génie James Blake. On pense souvent à Stevie Wonder période 1972 ou 1973, ces années-là où il partait de l’organicité de son timbre pour se confronter aux pionniers de la musique électronique comme Robert Margouleff et leurs instruments qui menaient plus loin encore le son.
Anarchisée la structure de Creeks également avec ce qui fait la singularité de Bon Iver, la voix de son leader ici paradoxalement torturée au Vocoder pour en faire un squelette de chanson. Lunatique 33God qui ne sait pas bien où elle va mais y va avec assurance. C’est un peu comme si la musique de Justin Vernon était prise de folie, de l’envie frénétique de ne pas se voir enfermée dans une image trop réduite.
Ce qui est sûr, c’est qu’au même titre que certains qui se plaignent de ne plus retrouver le Mark Kozelek qu’ils aimaient, il est fort à parier que certains jugeront, qu’au mieux, Bon Iver s’est pris les pieds dans le tapis ou, pire encore, que le cas est perdu pour la cause musicale.
Heureusement, pour ceux qui préfèrent un Bon Iver plus sage pour ne pas dire plus soucieux des conventions, il restera quelques titres plus posés qui renverront au confort des premiers disques comme 29# Strafford APTS, 666 ou 21 Moon Water.
A franchement parler, on pouvait s’attendre à un nouvel album de Bon Iver officiant à peu de choses près sur les mêmes terres que les deux autres disques. Il fallait être bien culotté pour amener sa musique vers d’autres chemins. Des territoires plus basés sur la rythmicité et la polyphonie que la seule harmonie. Pour autant, ne craignez pas de ne pas y retrouver de belles pépites comme chaque production de Bon Iver en cache. Prenez 8 (Circle) comme un clin d’œil ou la prolongation du Stay Close des Blue Nile.
Il ne faudrait pas oublier de citer Sean Carey, collaborateur de Justin Vernon au sein de Bon Iver car Bon Iver est bel et bien un groupe avec chacun qui apporte un peu de sa sensibilité. Si vous ne vous êtes pas penché sur la discographie de S.Carey, je ne peux que vous conseiller l’écoute de ses deux disques.
Biscornu et insolite 45 avec sa mélodie de déglingue qui ne dépareillerait pas sur un disque de Tom Waits. Intelligence dans l’instabilité comme ce 00000 Million comme un retour au dépouillé, à l’osseux.
Bon Iver ne sera pas de ces artistes qui sortent un disque par an, toujours un peu le même, toujours dans le même fait-tout, avec la recette qui a fait ses preuves. Quitte à perdre du public, quitte à en gagner. Pari risqué mais passionnant d’un homme qui crée une œuvre.
Greg Bod
Bon Iver – 22 A Million
Label : Jagjaguwar / [PIAS]
Sortie le 30 septembre 2016