Yohan Laffort a suivi le philosophe Alain Guyard à la rencontre des gens dans les libraires, médiathèques, cafés, commerces, écoles, prisons, hôpitaux, grottes, pour leur parler de philosophie.
Alain Guyard c’est une bête de scène comme on dit à la télé où les mots se raréfient plus vite que l’eau dans le désert. Guyard c’est Depardieu dans Crésus, c’est Mélenchon sans son égo démesuré et ses ambitions ineptes, c’est une force, une puissance d’évocation, un tribun éclairé, un virtuose du vocabulaire, un grand acteur, une culture immense, une intelligence supérieure. Il m’a rappelé un professeur d’histoire qui nous expliquait avec des mots savants mais toujours très simples, comme ceux de Guyard, la mythologie grecque, la ramenant à une explication toute simple de la vie des populations de cette époque et de leurs préoccupations. Guyard fait la même chose avec la philosophie, il décortique, dissèque, dénoyaute les écrits, les pensées, les recommandations des auteurs, notamment des auteurs de la Grèce antique qu’il semble particulièrement affectionnés.
Il ne cherche pas à éclairer l’auditeur, il cherche à l’embrouiller encore plus pour qu’il remette en question tout ce en quoi il croit, tous les cadres que la société a fabriqués pour que la majorité vivent selon les normes que certains ont définies : normes morales, normes sociales, normes économiques, normes religieuses, normes culturelles… Tout ce fatras de normes qui devrait permettre de vivre en société alors que l’homme est avant tout individu et qu’il ne vit que pour lui-même, pour se confronter à la vie et à la mort qui n’en est que le dernier épisode.
Laffort a mis ses souliers dans les pas de Guyard allant de la librairie à la médiathèque, de la prison à la ferme, de chez le boulanger à l’école des puéricultrices partout où les gens s’interrogent sur leur existence, leur raison d’être, leur façon de rendre leur vie possible et peut-être agréable. Et, chaque fois, Guyard les a pris par surprise, leur faisant comprendre que tout ce qu’ils croyaient allait à l’encontre de ce qu’ils recherchaient. Le bonheur s’oppose à la joie, la violence populaire n’est que la manifestation de sa force, l’expression de la nécessité de renouveler la liste de ceux qui détiennent le pouvoir, l’accumulation des richesses n’est que l’expression de l’angoisse, de la peur, de la vie, de la nécessité de se protéger. De conférence en conférence, Guyard adapte ainsi son discours à son public pour toujours revenir à l’essentiel, à l’individu, à son essence même, à la nécessité dans laquelle il est d’échapper aux forces qui le séquestrent dans l’un des systèmes inventés par les puissants. L’amour sans frustration n’est pas amour, l’éthique est personnelle et non professionnelle, la volonté prime sur la moralité, … chaque public reçoit le message qui lui est adapté.
Se situant lui-même « entre Coluche et la métaphysique », Alain Guyard redonne une nouvelle dimension à la philosophie gravement dévaluée par les philosophes de télé qui essaient d’en faire une marchandise de librairie. J’ai retrouvé toute la puissance que Guyard à mis dans « La soudure », toute sa détermination à vouloir faire comprendre aux hommes que la vraie vie était en eux et que tous les systèmes étaient pervers. La philosophie ça dérange, « ça fout la merde » dans les esprits parce que la vie, la raisons de vivre, ça ne s’explique pas, le philosophe est comme « l’homme qui pédale sans savoir qu’il pédale et qui doit descendre de vélo pour savoir s’il pédale bien et donc cesser de pédaler ». C’est la machine infernale, le mouvement perpétuel de la remise en question permanente. Il reste à chacun de déterminer ce qu’est pour soi « la valeur de l’existence ».
Un film qui vaut bien la quasi-totalité des discours que nous devrons subir lors des prochaines campagnes électorales où l’adage de Nietzsche sera encore confirmé : « Nous sommes des décadents ». Il nous restera alors la transgression pour créer un autre du monde hors du cadre défini actuellement.
Et pour conclure, je voudrais ajouter que je partage avec Guyard cette façon d’aller à la rencontre des acteurs de nos territoires, des vraies gens, pour les écouter et les conforter dans leurs démarches souvent à la marge des idées reçues. Là sont les vraies forces !
Denis Billamboz
La Philo vagabonde
Film documentaire de Yohan Laffort
Durée : 1h 38min
Date de sortie 5 octobre 2016