Et si le monde pouvait être sauvé par l’art ? C’est le pitch du dernier opus de Joann Sfar, évoquant une expérience artistique hors normes censée ramener le peintre Dalí à la vie…
A travers cette BD atypique, Joann Sfar raconte une expérience artistique dont le but serait de réveiller Salvador Dalí cryogénisé. Pour cela, un artiste peintre du nom de Seabearstein va s’enfermer pendant plusieurs jours avec quatre top models entièrement nus, dans un appartement parisien où toute communication avec l’extérieur est proscrite.
Avec cette trame entre poésie et fantastique, Joann Sfar s’attaque à un monstre de la peinture. Le personnage principal, Seabearstein, artiste dandy fasciné par l’œuvre du peintre espagnol, va s’introduire dans le monde de la haute couture pour y dénicher les quatre mannequins qui accepteront de participer avec lui à une expérience originale : vivre une sorte de retraite monacale de quatre jours, sans télé, ni ordinateurs, ni portables. Le but : incarner les muses de Dalí pour réveiller celui-ci de son état de cryogénisation.
L’idée de départ, plutôt bien trouvée, suscite la curiosité, et le lecteur intrigué ne demande qu’à y adhérer, prêt à observer cette étrange performance quasi-mystique de « résurrection » de l’artiste inventeur de la paranoïa-critique. Malheureusement, le récit donne l’impression d’avoir été totalement improvisé, hésitant entre réflexions philosophico-artistiques de haute volée, inserts en référence à la peinture de Dalí et verbiage futile des quatre mannequins (so chic !). Oui, on est intrigué, admiratif devant une telle érudition (Sfar connaît bien l’œuvre du peintre, aucun doute là-dessus) mais globalement, on s’ennuie autant que les personnages, s’interrogeant sur l’intérêt de la chose.
On ne peut pas soupçonner l’auteur du Chat du rabbin d’avoir voulu attirer le chaland avec cette histoire de partouze qui n’en est pas une (mais peut-être certains se laisseront-ils tenter par la simple lecture du pitch), car pour ce qui est du dessin, c’est du Sfar en plus déchiqueté que jamais. En d’autres termes, ce n’est pas de l’érotique, c’est de l’artistique. Et si les corps des top models sont élancés, ils sont aussi fragiles, quasi squelettiques, et semblent avoir comme double fonction d’évoquer le style dalinien et de caricaturer les actuels canons anorexisants de la beauté. Et tout n’est pas critiquable. Malgré la dépressivité éthérée du trait qui donnerait envie de se pendre dans les chiottes de la Fashion Week, il est possible d’y trouver une certaine beauté. Joann Sfar ne sait pas dessiner, mais il parvient à compenser par son sens de l’esthétique.
De l’ensemble, certains avanceront que la lecture doit être faite à travers le prisme de la poésie, mais peut-on, sous couvert de poésie, se dispenser de produire quelque chose de cohérent et surtout qui ne frise pas l’ennui, sauf peut-être pour les amoureux de Dalí. Se doutant que son ouvrage sibyllin pourrait être mal compris, l’auteur a jugé utile d’ajouter une préface auto-justificatrice pour expliquer ce qui ne devrait pas avoir à être expliqué, si l’on considère qu’une œuvre parle pour elle-même. Certes, en fan absolu de son « peintre-héros », Joann Sfar le dit, il avait besoin de produire un exutoire dans une époque chahutée par l’obscurantisme religieux, en reprenant à sa sauce la théorie du maître selon laquelle l’art devait « voler à la religion sa fonction sacrée ». C’est donc tant mieux si c’est pour la bonne cause. Mais la vraie question dans le cas présent est : suffit-il de rendre hommage à un génie pour faire une œuvre géniale ? La réponse serait à chercher du côté du titre…
Laurent Proudhon
Fin de la parenthèse
Scénario & dessin : Joann Sfar
Editeur : Rue de Sèvres
112 pages – 20 €
Parution : 14 septembre 2016
Sfar a dit dernièrement en interview qu’il ne trouvait pas les mannequins actuelles maigre, juste mince, donc je doute qu’il caricature quoi que ce soit, au contraire. Je pense aussi que les filles dans la BD sont maigre/minces car il y a eu un partenariat avec la maison de haute couture Schiaparelli (les robes dessinées sont des Schiaparelli, qu’on retrouve je crois dans l’expo).