En 1937, un sous-marin républicain espagnol fait surface dans la rade de Brest. Le début d’une incroyable affaire mêlant espions, fascistes et extrême gauche racontée avec talent par le trio Kris, Galic et Cuvillier.
De Brest, on sait peu de choses. C’est une ville perdue au bout, à la pointe, à l’ouest. On la connaît par la chanson, on connaît son crachin et ses rues interlopes. On la connaît également à travers l’écriture de Miossec.
Brest, c’est depuis toujours un bout de terre de France au milieu de la Bretagne comme une verrue disgracieuse sur un visage, une ville détruite par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Une ville reconstruite et sans passé. On a oublié depuis longtemps les ombres de Mac Orlan, celle de Prévert et de sa Barbara.
Pourtant à l’ouest quelques irréductibles tentent de faire revenir à la mémoire des faits divers autrefois vécues dans la cité du Ponant. Il ne faudrait pas mépriser ces petits éléments de la grande histoire car ils contribuent à comprendre un état d’esprit, le climat d’une société avant le suicide collectif que fût la guerre de 39-45. Ces hommes qui travaillent les images du passé, ce sont Damien Cuvillier au dessin nerveux et précis, Bertrand Galic et Kris au scénario, dialogue et adaptation de cet essai de l’historien Patrick Gourlay Nuit Franquiste sur Brest.
Bien sûr Kris n’en est pas à un coup d’essai dans son envie de faire revivre le Brest d’antan. On se rappellera sa collaboration avec Etienne Davodeau sur Un homme est mort qui racontait la mort de l’ouvrier Edouard Mazé lors des manifestations et des grèves de Brest en 1950. De Bertrand Galic, on pourrait parler de la merveilleuse adaptation avec Marc Lizano du Cheval d’orgueil de Per Jakez Helias qui ressort d’ailleurs en version bretonne. On pourrait également revenir sur Un maillot pour l’Algérie. Ce qui ressort immédiatement du travail de ces deux-là, c’est cette évidente dimension sociale dans son sens le plus noble. Rien de surprenant donc à les retrouver chez l’excellente maison d’édition Futuropolis.
Que nous racontent-ils donc dans Nuit Noire sur Brest ? Plus qu’un simple récit d’espionnage, ils reviennent sur un fait divers bien réel. Le dimanche 29 août 1937, un sous-marin républicain espagnol sort son nez des eaux troubles pour faire surface au milieu des brumes de la rade de Brest. C’est un peu de la guerre d’Espagne qui s’installe sur la pointe bretonne avec son lot de barbouzes et d’intrigues pour le moins vicieuses.
Il en faut bien du talent et de la documentation pour faire remonter à la surface les rues d’une ville disparue mais aussi l’atmosphère d’une population. Loin de vouloir se résumer à des clichés, ce travail fait office de mémoire.
Des antichambres de l’hôtel moderne aux ambiances enfumées du Dancing l’Ermitage, on revit avec les personnages les manipulations, les forfaitures et les trahisons des uns et des autres. Deux ans plus tard, ce sera le retour des méchantes heures, ces instants de 1937 ne sont que la répétition générale de nos démissions en devenir. On y croise les communistes pris en tenaille entre leur envie de combattre dans leur Espagne natale, les agents doubles à la solde de Franco et de ses sbires.
Et il y a ceux des entre-deux, ceux que l’on ne parvient pas à situer, non pas qu’ils dérivent au gré du vent mais ils baladent leurs convictions au gré de leurs nécessités du moment. C’est le temps du Front Populaire mais un Front Populaire qui baisse la tête, déclinant. Au dehors, souffle le vent mauvais de l’extrême-droite et de la Cagoule. Cela complote, cela joue pour son propre compte dans les petites officines du pouvoir. Pas de place ici pour les naïfs ou les idéalistes, seuls les pragmatiques survivent encore pour un temps.
On peut lire dans Nuit Noire sur Brest un sous-texte qui lui donne une véritable actualité, une dimension contemporaine. Ne peut-on pas reconnaître dans cette non-prise de position du gouvernement français et de la mairie de Brest de l’époque pour venir en aide aux sous-mariniers du C2 la même neutralité « bienveillante » qui se retourne contre nous aujourd’hui dans notre positionnement face à la crise des migrants ? On ferme les yeux, on se dit que cela passera…
Pour compléter votre lecture, vous pourrez également regarder L’affaire du sous-marin rouge, un film de 52 minutes réalisé par Hubert Béasse et diffusé en novembre sur France 3 mais aussi le webdocumentaire revenant sur l’affaire sur l’excellent site Kub.
Nuit noire sur Brest prouve encore une fois la bonne santé de la Bd en Bretagne à l’image de ce que peuvent proposer dans un genre bien différent Arnaud Le Gouëfflec et Briac. On attend d’ailleurs avec impatience leur Méridien. On ne peut également que vous conseiller les sorties de la petite maison Sixto. Pour l’heure, replongeons dans la brume du Brest des années 30 et ses intrigues à la dérive.
Greg Bod
Nuit Noire sur Brest
Dessin de Damien Cuvillier
Scénario de Bertrand Galic et Kris
Editeur : Futuropolis
Sortie le 15 septembre 2016
Pour compléter votre lecture, vous pourrez également regarder L’affaire du sous-marin rouge, un film de 52 minutes réalisé par Hubert Béasse et diffusé en novembre sur France 3 mais aussi le webdocumentaire revenant sur l’affaire sur l’excellent site Kub.