A ceux qui reprochent à Lambchop de faire toujours un peu le même disque, Kurt Wagner et ses sbires lancent Flotus comme un démenti avec une Soul Hybride.
Lambchop, le projet de Kurt Wagner, cela a toujours eu à voir avec une certaine idée, une certaine dramatisation du murmure. Qui aura assisté à un concert du groupe de Nashville comprendra mes dires. On entre dans un live du groupe comme dans un gant de velours avec une sonorisation au bord du silence. Il en va de même des disques.
La musique de Lambchop a toujours eu à voir avec les aventures et les expérimentations. A ceux qui disent que Kurt Wagner et Tony Crow n’en finissent pas de faire le même disque, il faudrait leur rappeler la valeur d’un mot un peu oublié dans la musique moderne contemporaine, le détail. Car comme je le disais, autrefois en d’autres pages, la musique de Lambchop c’est d’abord une révolution dans le détail. Des tout débuts à la Country qui sortait des cadres au chef d’œuvre Nixon et son négatif Is A Woman, on aurait vite fait d’y retrouver les mêmes ingrédients mais prenez par exemple Damaged et ses drones presque Post-Rock, on y trouve déjà en germes certains des éléments qui constitue Flotus.
Bien sûr, on connaît le tropisme de Kurt Wagner pour les musiques noires, la Soul et le Funk. On n’est pas près d’oublier sa reprise de Curtis Mayfield sur What Another Man Spills ou l’emprunt de Baby It’s You au père de la B.O de Superfly. Sans doute dans une autre vie, le gars de Nashville a du être noir ou hillbilly ou les deux à la fois.
Avec Flotus, le moins que l’on puisse dire, c’est que la révolution n’est pas dans le détail. Faisant suite à Mr M, cet album à la fois sombre et lumineux en hommage à l’ami Vic Chestnutt, Flotus en prend le contrepied et ce allègrement. C’est peu de prédire que ce disque va diviser. Il y aura les intégristes qui jureront au sacrilège, que Lambchop est tombé dans la facilité de la Hype et de la mode, ceux qui n’y comprendront rien et de toute façon ne l’écouteront pas. Ceux qui continueront de dire que Lambchop continue de faire le même disque sans même l’écouter.
Enfin, il y aura ceux qui y verront une certaine cohérence face au reste de la discographie du groupe. Etrangement, on en arrive à deviner derrière les voix vocoderisées et les rythmiques Dubstep la même science de la mélodie arrache-cœur et à qui prête vraiment attention, on retrouve la poésie du Piano de Tony Crow à son meilleur.
On pensera à cette collaboration entre James Blake et Justin Vernon de Bon Iver pour cette même confrontation pacifique entre la Soul pulsatile et la froideur de l’électro. Le calendrier musical est parfois fait de curieux hasards car si on y regarde bien, on rencontre une mue assez similaire sur le nouvel album de Bon Iver.
In Care Of démarre les choses en douceur avec ce type de ballade comme seul Wagner sait les faire avec ce jeu de guitare reconnaissable entre mille. C’est avec Directions To The Can que l’on rentre dans le vif du sujet avec cette mélancolie qui ressemble à la rencontre entre The Notwist et Hood, c’est brillant et hasardeux, pour ne pas dire troublant.
Flotus lui, qui donne son nom à l’album, semble être une réponse à I Can Hardly spell your name sur Is A Woman . On retrouve tout au long de ce disque le falsetto du chant du boss de Lambchop du temps de Nixon.
De toute façon, avec Hecta, son projet avec Scott Martin et Ryan Norris, Kurt Wagner avait déjà montré tout l’intérêt qu’il porte à la musique électronique et ce n’est pas nouveau. Il y a déjà dix ans avec les mêmes protagonistes, sous le nom de Hands Off Cuba et également membres de Lambchop, il avait commis l’EP Colab. On ne peut pas dire qu’il n’aura pas prévenu de son envie de changement de registre. Certains crieront à la production de la voix qui vient dénaturer le timbre de Kurt Wagner. Alors si l’on doit reprocher ce crime de lèse-majesté, n’avons-nous pas trouvé les coupables idéaux dans les deux compères qui accompagnent le patron à casquette ?
JFK par exemple ne choisit jamais vraiment entre une expérimentation déviante et l’émergence d’une émotion quand Howe s’étire comme un long soupir. Old Masters réanime l’esprit de Marvin Gaye, celui d’Al Green. Relatives II lui rappelle le Popeye de Oh Ohio avec cette volonté de redonner du rythme aux mélodies mid-tempo du groupe de Nashville. On pourrait même dire qu’avec NIV, il tient peut-être même un tube.
Ce qui est remarquable sur Flotus, c’est cette explosion des cadres et des convenances. Des presque 12 minutes du morceau inaugural à l’odyssée qui avoisine les vingt minutes, des cadres qui sont broyés, de la mélodie qui est triturée et découpée, de la voix qui est dénaturée, c’est un peu comme si de la destruction, Kurt Wagner et les siens cherchaient à construire quelque chose de neuf qui ressemble de près ou de loin à l’avenir de Lambchop.
On laissera les frileux à leur froid et les haters à leur haine, cela ne nous empêchera pas de suivre les nouveaux climats de Lambchop et l’aventure d’un artiste passionnant qui n’hésite pas à se remettre en question, ce qui est en soi admirable et tellement rare.
Greg Bod
Lambchop – Flotus
Label : City Slang
Sortie le 04 novembre 2016