Continuer – Laurent Mauvignier

Continuer. Ne pas se laisser abattre. Tracer sa route, même si les embûches ne cessent de la parsemer. Aller vite. Aller droit. Pourvu qu’on ait l’ivresse.

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© Hélène Bamberger – éditions de Minuit

Quand Samuel flanche, Sibylle, sa mère, relève enfin la tête. Elle qui n’arrivait plus à trouver le courage de se lever le matin. Elle qui ne voyait plus l’intérêt d’enfiler le costume social. Elle qui avait fini par passer ses journées avachie dans le canapé. Un simple peignoir pour apparat. Clopes et bouteilles en guise de compagnes. La vie se déroulait sans elle. Les lumières de la ville scintillaient loin d’elle. Des armées de moutons défilaient pour le bon ordre d’une société où rien ne dépassait. Tout cela ne la concernait plus.

mauvignierbookPuis, un jour, comme un retour de bâton, Samuel et sa haine de la société la rappelait à l’ordre. Samuel et ses propos xénophobes. Samuel et son comportement vis-à-vis des femmes. Impossible cette fois pour Sibylle de laisser passer la vie sans elle. Pour le bien de son fils. Pour lui faire passer son rejet de l’autre, de la différence. Pour enfin jouer son rôle de mère. Sibylle se réveille tandis que Samuel se laisse endormir par un poison violent : la peur de l’autre.

“Un jour on reconnaît les rêves, on sait ce qu’ils nous disent, on sait à qui ils s’adressent en nous. Et alors il n’est plus question de les partager, de s’en étonner avec des proches. Il est seulement possible de laisser l’onde de choc qu’ils produisent en nous se répandre, s’étendre, nous laissant dans l’hébétude (…)”

L’auteur écrit sans détour. Avec précision et finesse. Il affronte la part la plus sombre de l’homme. Pour autant, Laurent Mauvignier n’est jamais moralisateur. Il ne met pas l’actualité en avant. Il ne prend pas la plume comme une arme de résistance face au climat ambiant que l’on pourrait juger délétère. Mais, indéniablement, son roman résonne de manière particulière dans la France de 2016.

Si c’était cela être un auteur engagé ? S’imprégner du monde environnant pour livrer à ses lecteurs – non pas un pamphlet – mais une analyse sous la forme d’une fiction d’une très grande justesse. Laurent Mauvignier parle d’une jeunesse qui se désintègre. On pense à Nocturama de Bertrand Bonello. Comme le cinéaste, la jeunesse de Laurent Mauvignier est issue des beaux quartiers. Ceux de Bordeaux. Les vacances à Lacanau. Les soirées entre potes à Hossegor. Les racines du mal sont aussi là où l’entre-soi est roi. “Pourquoi tous on a peur de quelque chose ?”

Delphine Blanchard

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Laurent Mauvignier
Éditions de Minuit
240 pages, 17 €
Parution :  septembre 2016