Entre deux BO, Johann Johannsson a composé un nouvel album, sept ans après le précédent, poursuivant ainsi la construction d’une œuvre musicale dense dont on trouve peu d’égal actuellement.
Sept ans que l’islandais Johann Johannsson n’avait tien sorti, préférant consacrer son temps à l’écriture de bandes originales de films qui pour la plupart ne laissèrent pas de grand souvenir, n’évitant pas le piège illustratif de l’exercice. Il revient avec Orphée à la place qu’il mérite, au centre du décor et de la scène.
Sept ans, c’est long, autant dire une éternité. Sept ans que Johann Johannsson n’a rien sorti. On ne reviendra pas ici sur ses travaux pour le cinéma qui soit reprenaient paresseusement ses propres morceaux soit s’égaraient dans des mélodies au bord quand elles ne tombaient pas allègrement dans l’anecdotique. Il revient avec Orphée chez Deutsche Grammophon et déjà rien qu’avec le choix du label, on perçoit un indice dans sa démarche artistique. Il tient à regagner la place qu’il mérite dans la musique contemporaine.
Dès Flight From The City, on sent le trait tiré entre Fordlandia et cet Orphée. Comme si entre les deux existait la même filiation, soit une lente progression transcendante. Comme si le temps n’avait pas de prise.
Dans la musique de Johann Johannsson, la présence humaine est toujours discrète, des voix transformées, des murmures d’enfant, de lents décomptes énigmatiques à l’image de Song For Europa. Remontera parfois à la mémoire les souvenirs de la musique de Bleu par Zbigniew Preisner pour Krzysztof Kieślowski qui nous manque tant.
Et puis c’est aussi se confronter au mythe d’Orphée, à une forme de transition, de métamorphose. Être dans cet entre-deux angoissant, quelque part avant le changement, avant la décision et ailleurs au moment de l’action. L’instant du quotidien du morose qui peut être remplacé par quelque chose de plus excitant mais aussi de bien plus déroutant.
Johann Johannsson tisse une lente évocation à travers des hymnes minuscules privilégiant souvent la brièveté, la concision pour mieux saisir l’essentiel des choses, soit un monde sombre au bord de l’abysse qui peut encore choisir entre l’ombre et les gouffres.
Ce ne sera pas la beauté irradiante de A Pile Of Dust qui viendra contredire cette supposition. Il y a du Malher, du Berg et du Schoenberg chez l’islandais qui laisse ici toute forme d’affèterie Pop. Sa musique ne nous charme que par sa seule beauté, nul besoin de simplifier le propos pour plaire. Orphée se suffit à lui-même.
Lui qui s’était perdu dans le monde du cinéma car l’exercice lui imposait des figures de style, retrouve ici toute sa liberté car avant d’être un musicien c’est d’abord un peintre qui crée des images mouvantes au creux de nos oreilles. Construit parfois autour d’un orgue dans son plus simple appareil, Orphée touche à une forme de simplicité en trompe l’œil car chez Johann Johannsson rien n’est jamais simple. Il glisse dans ses titres tellement d’éléments qu’il faudra bien longtemps pour en faire le tour. Prenez By the Roes, and By the Hinds of the Field qui convoque Dmitri Chostakovitch mais aussi le Low de David Bowie. Tout cela sonne comme l’immédiateté, la spontanéité. On se love dans ce titre comme on entre dans un lit moelleux, comme l’on pose la tête sur un oreiller accueillant.
On sent toujours à l’ornière une mélancolie sourde, une menace qui s’annonce. De The Radiant City à De Luce et umbra, Johann Johannsson nous annonce notre avenir, à nous désormais de savoir décoder le message que nous transmet l’islandais.
Sept ans, c’est bien long, autant dire une éternité. On pourra bien attendre encore sept autres années car il faudra bien cela pour épuiser la beauté d’Orphée. Une beauté sombre et éclairante comme seuls les visionnaires savent en peindre.
Greg Bod
Johann Johannsson – Orphée
Label : Deutsche Grammophon
Sortie le : 16 septembre 2016
Johann Johannsson sera en concert le 6 décembre à l’Alhambra, à Paris.