Florent Marchet, on l’a adoré avec ses premiers disques qui réconciliaient la musique d’ici avec les univers singuliers d’un Sufjan Stevens ou d’un Elliott Smith. On avait adoré Frère animal en 2008. On espérait raccrocher les wagons avec ce second tour. Malheureusement, la passion n’est pas au rendez-vous.
Cher Mr Marchet,
Soyons clairs, j’ai beaucoup aimé vos premiers disques. Que ce soit Gargilesse avec son cynisme tendre, cette manière bien à vous de croquer le défaut, la suffisance en quelques mots. Du Terrain de sport à je m’en tire pas mal, on découvrait en plus d’une plume une personnalité singulière. Avec Rio Baril, votre propos devenait plus ambitieux encore. Vous y créiez une ville, des habitants tel un démiurge. Citta ex macchina…
En 2008, vous poursuivez dans cette démarche avec Frère animal ici accompagné de l’écrivain Arnaud Cathrine qui écrit le livret et avec également Valérie Leulliot d’Autour de Lucie et Nicolas Martel. Bien sûr c’était une satire cinglante et souvent très juste sur le monde de l’entreprise.
Pour être vraiment honnête avec vous, Florent, Courchevel m’a laissé à la porte et Bambi Galaxy provoqua chez moi une perplexité que je ne m’explique pas. Bien sûr, je reconnaissais chez vous un univers qui n’est vraiment qu’à vous mais comme parfois, on reste indifférent aux choix d’un écrivain de faire évoluer son écriture, on ne sent pas proche de ses interrogations, il en est de même de mon rapport à votre musique.
Monsieur Marchet, vous êtes un saltimbanque. Je vois bien que ce qui compte dans votre travail, c’est de permettre la création de personnages, il suffit de vous voir sur scène à mi-chemin entre le concert et la mise en scène d’une pièce que vous jouez inlassablement.
J’avais comme beaucoup adoré Frère animal, c’est donc avec plaisir que j’ai commencé cette écoute de Second Tour, espérant enfin renouer le contact avec vous mais pour être une nouvelle fois honnête avec vous, je trouve vos propos confondant de naïveté. Ouvrons une mise au point, je sais bien que vous savez que la chose politique est une affaire sérieuse et qu’aujourd’hui, plus qu’hier, le musicien, l’artiste doit reprendre sa place de bouffon du roi mais car il y a un mais. Mais votre caricature finit par ressembler à une caricature simpliste. Cette manière manichéenne d’épingler ceux qui votent pour des partis nauséabonds relève du cliché. Si j’ai la dent dure vous concernant, c’est surtout que je connais comme beaucoup le potentiel qu’il y a en vous, cette écriture mordante qui ici ressemble à une mauvaise dissertation mal ficelée d’ado vaguement libertaire.
Car voyez-vous, Mr Marchet, la chanson politique peut être autre chose qu’une simple posture engagée. Faites-vous une distinction entre la chanson engagée et la chanson politique ? Vous savez, la chanson engagée, c’est cet espèce de discours moralisateur bonne conscience, vaguement opportuniste, vaguement sincère. La chanson politique, elle, se suffit à elle-même. Elle n’a pas besoin de traiter frontalement le sujet qu’elle évoque et évite donc le piège du discours réducteur.
Car finalement, ce que l’on peut reprocher à Second tour, c’est son côté réducteur et petits bras. Bien sûr, l’on n’attend pas d’une démarche Pop la lecture d’une thèse mais on est en droit d’attendre plus de vous. Bien sûr, il faut combattre les idées du « bloc national » mais sans pour autant tomber dans un discours simpliste.
Quand on parle de chanson politique, je ne peux que vous conseiller l’écoute du dernier disque de Michel Cloup qui dit dans Ici et là-bas ce que vous ne parvenez pas à dire dans Second Tour. On est en droit de ressentir un profond malaise à l’écoute d’une chanson française qui n’a pas pour défaut d’être indigeste mais surtout au mieux de ne rien dire et au pire d’être insipide.
Mr Marchet, si ma plume est acide, c’est que je connais votre talent comme beaucoup mais votre satire, votre caricature se prend les pieds dans le tapis. Revenez à ce que vous savez faire de mieux, écrire des chansons. Peut-être, lentement et sans vous en rendre compte, votre parole se libérera et vos mots deviendront un acte politique loin des slogans et des raccourcis.
J’espère, Mr Marchet, que vous ne m’en voudrez pas trop et je continuerai à suivre avec intérêt votre travail.
Greg Bod
Frère Animal – Second Tour
[PIAS] Le Label
Sortie : 21 octobre 2016