Qu’est ce qui a poussé le saxophoniste Colin Stetson à se réapproprier la 3ème symphonie du polonais Henryk Gorecki ? Car il s’agit bien ici de réappropriation pure comme l’indique le titre et son Reimagining.
La musique contemporaine fait peur à nombre d’entre nous croyant percevoir dans cet univers une part d’élitisme, quelque chose comme un mélange entre les expérimentations de l’IRCAM, tout le courant dodécaphoniste auquel il peut être dur d’adhérer pleinement ou les dissonances soniques issues du Free Jazz. Comme tous les courants musicaux aux larges horizons, il est parfois nécessaire d’obtenir quelques clefs, quelques portes d’entrée afin de dépasser cette intimidation qui nous paralyse.
Il serait difficile de commencer son exploration par les œuvres de Berio, celles de Stockhausen ou encore de Lygeti. Avant de se colleter à ces travaux-là, il est parfois pertinent de passer par d’autres chemins afin de ne pas rester à l’entrée d’un monde qui pourrait nous fasciner. Certes, désormais, pour nombre d’entre nous, nos oreilles ont été préparées à la musique contemporaine par le Post-Rock ou encore la musique électronique qui ont souvent plus à voir avec les travaux des pionniers de l’électroacoustique qu’avec le seul Rock qui fait presque office de valeur un peu dépassée en ces temps-ci. Prenez Stars Of The Lid chez qui l’on sent l’évidente influence de Gavin Bryars. C’est peut-être par ces quelques références lâchées ici et là dans les interviews que l’on peut trouver ces fameuses ouvertures. Que ce soit Arvo Part cité à l’envie par Chris Hooson de Dakota Suite, que cela soit Max Richter fortement influencé par l’école répétitive. Ce même Max Richter qui s’est d’ailleurs à un exercice de style en se réappropriant Les quatre saisons de Vivaldi Que faut-il voir dans pareille démarche ? Reprendre une œuvre entendue jusqu’à l’écœurement ? S’acheter une légitimité dans un public classique qui méprise les musiciens qui fricotent avec la Pop ?
Colin Stetson, lui aussi, s’est essayé à cette formule. Il reprend la fameuse Symphonie N°3 dite des chants plaintifs d’Henryk Gorecki. En saxophoniste qu’il est, il se réapproprie cette œuvre incontournable dans le répertoire du polonais et respecte chacun des mouvements qui constituent ces chants. Les puristes crieront à l’imposture et retourneront à leur version de Dawn Upshaw avec le London Sinfonietta. Ce serait pourtant dommage de passer à côté de cette vision qui amène le chant lyrique et la structure-même vers quelque chose d’autre avec des éléments bruitistes qui pourraient le rapprocher du groupe japonais Mono. On comprend d’ailleurs bien pourquoi Colin Stetson s’est intéressé à cette 3ème symphonie faite de psalmodies et de constructions en strates jusqu’à l’implosion finale.
Bien sûr, on retrouve ici le même mysticisme que dans l’œuvre originale. Il ne faudrait pas oublier que le second mouvement, lento e largo – tranquillissimo, s’inspire d’inscriptions, à savoir des invocations à la Vierge Marie) retrouvées sur le mur d’une prison de la Gestapo à Zakopane. C’est un mysticisme douloureux, dissonant. Une douleur qui combat le chaos, qui cherche à s’en extraire pour trouver enfin un refuge. Gorecki, proche dans son parcours d’Arvo Part, est sans doute parmi les grands noms de la musique contemporaine l’un des plus accessibles. Colin Stetson y adjoint une once de confrontation au bruit, on entend dans les échos de ce ciel plombé les matins de nos avenirs. Un improbable malheur possible ou une délivrance accessible… Colin Stetson nous laisse seul avec ses interrogations qui sont aussi un peu les nôtres…
Greg Bod
Colin Stetson – Sorrow A Reimagining Of Gorecki’s 3rd Symphony
Label : 52 HZ
Sortie : 8 avril 2016