Qu’il est agréable de découvrir un nouvel auteur. Le premier roman de Ludovic Robin est d’une beauté froide comme le climat des montagnes savoyardes qu’il décrit. Intensément mélancolique !
(© Tina Merandon – Signatures)
Chaque rentrée littéraire dépose sur les tables des libraires des centaines de livres à donner le tournis : 517 romans et récits en ce mois de janvier ! Quelques mois seulement après les 560 publications de septembre. Mais que le plaisir est immense le jour où une écriture nouvelle vous transporte. C’est le cas de Ludovic Robin qui signe ici son premier roman. Un coup d’essai réussi pour celui qui, à la ville, travaille à l’entretien du canal de Nantes à Brest. Il aura mis trois années à ciseler chaque mot, tailler ses phrases, élaguer les détails inutiles pour livrer une version à la fois dense et légère. Deux mots qui semblent contradictoires, pourtant tout est là. La densité du propos du personnage masculin. Et la légèreté artificielle de Lily, la figure féminine de ce roman. Lily souffre au plus profond d’elle-même. La bile noire ne cesse de l’empoisonner. Alors Lily s’abrutit de barbituriques. Elle passe sa vie à flotter entre deux eaux. Insouciante et légère devant les autres. Mélancolique et dépressive auprès de son homme et de leurs trois enfants. À force de toucher le fond, la remontée est de plus en plus difficile. Le souffle de plus en plus court. Le risque de noyade jamais très loin…
Par la voix de son narrateur, Ludovic Robin dresse un portrait poignant de cette famille à la dérive. Malgré l’amour et la tendresse de son compagnon, Lily est en détresse. Elle ne cesse de lancer des SOS mais là-bas, au bout du monde, dans ces montagnes savoyardes, il est difficile de se faire entendre. Elle trouve un apaisement momentané au contact de la nature, à travers de longues marches. Tandis que lui voudrait crier sa colère et son impuissance au monde entier. Élagueur, tout en haut de ses arbres, il domine le paysage, à défaut du monde. Nul n’est prophète en son pays. Il ne voit pas arriver le gros nuage noir qui va anéantir sa vie. Des années plus tard, il cherche encore à comprendre. Il reprend la chronologie. Comment est-ce possible ? Pourquoi lui, si bienveillant avec Lily ?
Mais l’ours mal léché tapi en lui n’aurait-il pas refait surface au pire moment ? Celui où Lily aurait plutôt eu besoin d’une oreille attentive. D’une épaule amie. Lui le compagnon taciturne dont on est prévenu dès le début du récit : “J’avais compris depuis belle lurette que la vraie solitude est engendrée par les gens que l’on n’a pas choisis. Les gens quels qu’ils soient. (…) Disons que le commerce des autres m’avait convaincu de ce qu’une part de sauvagerie était nécessaire dans l’édification de votre liberté.” Ce sont dans ces phrases d’une lucidité déconcertante que l’auteur vise le plus juste. Il décrit la douleur de vivre avec précision. Par petites touches, il arrive à distiller cette étrange sensation qui coule parfois dans nos veines. Avec subtilité. Sans être larmoyant. Il déverse ses mots comme la tristesse empoisonne Lily. C’est d’abord doux et lent. Une chaleur envahit le corps. Puis ça craque. Les mots piquent. Tailladent le cœur. Tout s’effondre de l’intérieur. Ludovic Robin met des mots sur le vague à l’âme, état ô combien difficile à décrire. Quel tour de force !
Delphine Blanchard
Aller en paix
Ludovic Robin
Éditions du Rouergue
352 pages, 21,80 €
Parution : 4 janvier 2017