Mark Eitzel continue inlassablement de sortir des disques de folk-pop de haute tenue. Hey Mr Ferryman est ce que l’on peut appeler un très grand cru.
Mark Eitzel, on l’a découvert à la mi-temps des années 80 avec American Music Club. Un groupe auteur d’albums plus que recommandables qui en faisaient l’un des pionniers de ce que l’on devait appeler par la suite la Country alternative, ce genre qui se nourrissait de la musique des Rednecks mais aussi de l’énergie du Punk ou encore de la Soul.
On n’a pas oublié ces presque classiques, ces presque standards que sont Blue and grey shirt ou encore Western sky, presque, oui, car ces chansons qui devraient être des hymnes universels ne sont que des petits secrets bien cachés connus d’une poignée d’entre nous. On ne s’explique pas ce dédain du public pour les disques de Mark Eitzel avec ou sans American Music Club. Il est rare de rencontrer un artiste avec une telle constance dans l’exigence et dans la qualité de ce qu’il nous propose. Bien entendu, on pourra trouver moins d’intérêt dans ses escapades électroniques sur The invisible man ou dans les reprises convenues de Music for courage and confidence. Mais à côté de cela, on y trouve une discographie constituée de sommets comme 60 Watt Silver Lining, Caught in a Trap and I Can’t Back Out ‘Cause I Love You Too Much, Baby ou encore Don’t be a stranger avec ce petit quelque chose si américain, ce statut de songwriter, de storyteller. Un peu comme si Mark Eitzel cherchait à perpétuer une tradition qui va chercher du côté de Tom Waits par exemple.
Hey Mr Ferryman fait partie des grands disques de Mark Eitzel, ici accompagné à la production de Bernard Butler, ancien guitariste de Suede qui a aussi travaillé avec Ben Watt ou encore Bert Jansch. On trouvera sans doute dans leur collaboration à ces deux-là la raison de notre impression de plutôt ici se balader dans un folk d’école anglaise comme sur le superbe et presque dépouillé Nothing and everything. Pourtant, en ouverture, The Last ten years glisse un clin d’œil évident au Western sky des débuts avec cette onde positive qui doit plus à la Pop qu’au spleen. Avec An answer, on imagine ce que pourrait donner un disque de Gospel dans les mains de l’américain. On y retrouve aussi ce vieux tropisme pour la Soul des années 70 avec ce lyrisme rentré, à peine affirmé.
An Angel’s Wing Brushed the Penny Slots lui évoque le North Marine Drive de Ben Watt ou encore les Pale Fountains de Michael Head pour ces mêmes contours Sixties hésitant entre tropicalisme et Flower Pop.
Là où Mark Eitzel est souvent le plus déchirant, le plus pertinent, c’est dans le dépouillement. Si vous ne connaissez pas ce joyau crève-cœur qu’est Songs Of Love, un Live si vivant qu’il semble palpiter entre vos oreilles, je ne peux que vous en conseiller la découverte. On en trouve des traces dans Hey Mr Ferryman comme sur In my role as professional singer and harm ou encore Mr Humphries où Mark Eitzel démontre avec un brio tout en humilité toute l’étendue du talent de son chant quand La Llorna convoque à nouveau ses envies électroniques.
Peut-on dire, comme semble le confirmer Just because ou encore Let me go, que ce Hey Mr Ferryman ressemble en tout point à une œuvre de synthèse de tout ce que l’américain a fait jusqu’à présent ?
Ici, on reconnaît les aspérités Jazz de 60 Watt Silver lining, là la mélancolie de West. Pourtant nul piège de redite, ni d’égarement. Mark Eitzel se permet même le dénuement le plus complet au terme d’un disque magnifique de bout en bout, à l’image de ce Sleep from my eyes.
Avec Hey Mr Ferryman, Mark Eitzel vous permet de réparer l’injustice qui fait de sa musique un des plus injustes malentendus de la chose pop d’aujourd’hui. L’une des raisons sans doute de cet insuccès chronique, on peut peut-être aller le chercher dans cet absence de timing, de synchronisation avec son contemporain. Il était folk quand l’humeur était à la vague froide, electro quand on virait folk.
Et si l’on cherchait à réunir enfin ces deux droites parallèles que sont les disques de Mark Eitzel et votre attention ? Si l’on conjuguait ces deux droites au même temps, celui du présent, celui du maintenant ?
Faites de 2017 l’année de Mark Eitzel avec ce très grand Hey Mr Ferryman !
Greg Bod
Mark Eitzel – Hey Mr Ferryman
Label : Decor / La Baleine
Sortie : 27 janvier 2017