Après avoir composé pour les séries, le cinéma, et même le sommeil, Max Richter s’attaque cette fois à une partition pour un ballet inspiré de textes de Virginia Woolf.
On ne s’explique pas cet attrait renouvelé encore et toujours pour la musique de Max Richter, lui que l’on retrouve au cinéma chez Scorsese et sur nos écrans de télé avec la B.O de The Leftovers. Il revient ici avec Three Worlds, un disque suggestif autour du travail de l’écrivain Virginia Woolf.
Sur le terrain très occupé du néo-classique, il faut savoir tirer les meilleurs grains. Combien de mélodies sans saveur pour quelques rares déflagrations en plein cœur ? N’est pas Nils Frahm qui veut. Bien sûr, l’on rencontre quelques personnalités attachantes comme Luke Howard, Joep Bieving mais force est de reconnaître que l’on revient souvent aux mêmes chefs de file. Pour les plus anciens, Philipp Glass ou encore Arvo Part. Plus récemment, Stars Of The Lid, Johann Johannsson revenu en grâce en 2016 à la faveur d’un Orphée de haute volée, Olafur Arnalds ou encore Nico Mulhy. Mais de tous cela, sans doute le plus marquant reste l’anglais d’origine allemande Max Richter.
Sans doute vous rappelez-vous encore votre rencontre avec sa musique ? Le choc ressenti à l’écoute du mélodrame qu’est Memoryhouse ou encore de Songs from before. Il faudrait avoir peu de cœur pour ne pas être bouleversé par les montées puissantes des cordes, le lyrisme fin de siècle, cette exacte vision d’un monde qui va à sa perte. Certes, on pourra lui reprocher d’avoir un peu cédé à la facilité, surtout dans l’exploitation de certains thèmes utilisés jusqu’à l’usure dans les B.O de films, un peu à l’image du Für Alina d’Arvo Part, une de ses influences revendiquées.
A l’âme chagrine qui viendrait lui faire reproche d’un peu de paresse, Max Richter répond de la plus belle des manières avec des disques toujours plus inventifs tel ce Sleep jamais soporifique conçu comme l’accompagnement idéal d’une nuit de sommeil. Allez donc jeter un œil aux vidéos qui trainent sur Youtube des concerts de cette tournée pour vous laisser embarquer dans la musique à la fois minimaliste et romantique de Richter.
Bien sûr la musique de l’anglais a provoqué la curiosité de chorégraphes comme Wayne Mac Gregor avec lequel Richter avait déjà collaboré en 2010 pour Infra. Après une escapade du côté de Vivaldi, c’est sur une demande du même chorégraphe que Richter s’est intéressé à Virginia Woolf pour ce disque sorti chez Deutsche Grammophon.
Three worlds, comme autant d’évocations de l’écriture de la romancière, que ce soit Mrs Dalloway où l’on entend d’ailleurs un des rares enregistrements de sa voix, Orlando ou encore The Waves. Tout au long des plages qui constituent ce nouvel album, Max Richter explore les mêmes territoires avec une mention spéciale au War Anthem qui rappelle Benjamin Britten. Mais l’anglais refuse le surplace et n’hésite pas à perturber nos habitudes comme avec ce Modular Astronomy, brillante fugue électronique qui ressemble à une réponse au Hans Zimmer d’Interstellar. Sa musique, essentiellement instrumentale bien sûr, n’est jamais seulement illustrative. On sent bien qu’elle est accompagnée du geste de la danse, mais elle se suffit aussi à elle-même. Rares sont les fulgurances de celles que l’on ressent à l’écoute de The Explorers, avec ce violoncelle seul face à lui-même.
Il est assez paradoxal de constater que c’est finalement un album qui doit plus à l’électronique que sort Richter sur un label de musique classique aussi prestigieux qu’est Deutsche Grammophon. Il n’hésite pas à concasser sa musique qui finit par s’épurer à l’extrême comme le névrotique Possibles. On devine, en sous-lecture, tout le poids du désespoir de Virginia Woolf, car bien plus que la seule évocation des écrits de l’auteur, c’est un peu Virginia Woolf qui revient à la vie. On entend le bruit liquide, l’annonce funeste des moments terribles à venir. On y entend aussi la voix de Gillian Anderson (Dana Scully dans X Files) dans cette longue pièce (Tuesday), superbe comme une aube qui se lève, comme la première aube, comme la dernière.
On ne s’explique pas cet attrait renouvelé encore et toujours pour la musique de Max Richter, l’affection que l’on porte à ses climats changeants, à cette liberté qui constitue chacune de ses pièces, à cette lucidité dans le regard, à cette empathie pour la vie et les autres. Cette empathie qui forge les œuvres universelles.
Greg Bod
Max Richter – Three Worlds : Music from Virginia Woolf Works
Label : Deutsche Grammophon
Sortie le 27 janvier 2017