A l’heure de l’économie numérique, la capitale allemande a renforcé son pouvoir d’attraction. Mais le système libéral outre-Rhin révèle les failles d’un décor idyllique.
En 2011, la jeune Margaux débarque à Berlin avec son CV en poche et son envie de croquer la vie à pleines dents. Pour elle, Berlin est la ville cristallisant tous ses rêves et ses fantasmes, la ville de tous les possibles. Pourtant, confrontée à la réalité du monde du travail, elle va devoir réviser ses ambitions à la baisse, car même si la liberté est bien là, elle l’est pour tout le monde y compris les employeurs dont certains ont peu d’états d’âme…
A l’échelle internationale, Berlin jouit d’une excellente image. Pour beaucoup, elle reste une ville de culture, cosmopolite, bohème et créative. A Berlin, tout le monde est cool, « jeune » et motivé. On peut s’y faire plein d’amis, les loyers ne sont pas chers et les opportunités d’emploi dans les start-ups abondent via les réseaux sociaux. Avec ce récit doux-amer et via le personnage de Margaux, Mathilde Ramadier évoque sa propre expérience, lorsqu’au début des années 2010, elle avait quitté Paris, trop étouffante, pour rejoindre la capitale allemande où elle espérait faire fructifier ses compétences dans le domaine culturel. Mais la jeune femme va très vite déchanter en découvrant l’envers du décor. Sous cette coolitude des apparences, la réalité du libéralisme le plus impitoyable se fait jour, avec notamment ses minijobs précaires à 400 €, et l’absence de couverture maladie… Et pourtant, malgré elle, elle finit par l’apprécier cette vie de bohème au jour le jour, où la peur du lendemain semble atténuée par le flegme bienveillant des Berlinois. Peut-être parce que comme l’avait si bien dit un maire social-démocrate, « Berlin est pauvre mais sexy »…
Le trait apaisé et nonchalant d’Alberto Madrigal, associé à la clarté de ses couleurs pastels, colle parfaitement à l’ambiance berlinoise. Et comme Berlin 2.0 se rapproche parfois du carnet de route, le dessinateur utilise à bon escient le cadrage pour souligner les spécificités architecturales, culinaires ou sociales (par exemple, se déchausser dans le logement de son hôte) de la capitale allemande.
Berlin 2.0 constitue une excellente peinture de l’Allemagne à l’heure de l’économie numérique, même si Berlin n’est pas forcément représentative de l’ensemble du pays. Mais l’ouvrage fait voler en éclat les clichés sur le fameux modèle social allemand que l’on a longtemps considéré comme la référence absolue de ce côté-ci du Rhin. Il faut dire que la chute du mur est passée par là, suivie des très libéraux gouvernements Schröder et Merkel. Depuis, la pression de la gauche et des Verts a permis d’instaurer un salaire minimum à 8,50 € avec des sanctions pour les employeurs qui ne respecteraient pas la loi. Tout cela est très bien détaillé dans l’annexe à la fin du livre. L’ouvrage est conseillé à tous ceux qui s’intéressent à la manière dont nos voisins vivent les mutations économiques en cours, et particulièrement aux plus jeunes tentés par l’aventure berlinoise.
Laurent Proudhon
Berlin 2.0
Scénario : Mathilde Ramadier
Dessin : Alberto Madrigal
Editeur : Futuropolis
96 pages couleur – 18 €
Parution : 11 février 2016