Encore un nouveau projet pour Dominique Dalcan avec Tempérance ! L’occasion rêvée pour faire le point après 25 ans d’une carrière musicale déjà bien remplie.
Dominique Dalcan vient donc de sortir sous le pseudo Temperance un superbe album aux climats changeants et oniriques. Retour sur la genèse de cet album et sur la carrière de ce chanteur producteur français discret mais qui occupe une place toute particulière dans le paysage musical français de ces 25 denières années.
Comment avez-vous travaillé sur ce disque que vous qualifiez de « Post-electronique » ?
Dominique Dalcan : J’ai travaillé deux ans sur ce disque, en solitaire, avec une grande partie d’improvisation puis de mise en forme de cette improvisation. Deux ans car les morceaux se faisaient assez rapidement mais après je les ai laissé reposer. Il me faut cet état de macération à chaque disque. J’essaie d’oublier les morceaux puis je les réécoute un peu, je modifie un peu les choses
Vous avez voulu sur ce disque combiner l’image et la musique. Pourquoi ?
Les sources d’inspiration étaient plus picturales que sonores. C’étaient plus des images ou des souvenirs d’images animées ou fixes qui ont finalement nourri mes morceaux, principalement des images qui font référence à la nature, en tous les cas, le plein air. Cette notion est d’ailleurs abordée dans le disque entre l’homme et la nature. Des images que l’on peut retrouver dans le Land art, par exemple, ces artistes qui travaillent en plein champ. J’étais intéressé aussi par cette luminescence que l’on trouve chez certains artistes plasticiens contemporains avec cette épure qui correspondait bien à la musique que j’étais en train de composer.
C’est un disque qui est très différent de Hirundo (précédent album sorti sou votre nom). L’avez-vous fait en réaction à Hirundo ?
Je n’ai pas fait Temperance en réaction à quoique ce soit et encore moins à Hirundo qui pour moi est un disque magnifique, un condensé de Pop songs classiques. Hirundo, c’était un petit peu la collecte de chansons que j’avais fait sur un laps de temps assez long en fait tandis que Tempérance est vraiment ce qui me représente ces derniers mois. Ce n’est pas un disque conceptuel, ce n’est pas une réaction à Hirundo mais plus un complément. En sachant qu’en plus dans toutes mes chansons, y compris celles d’Hirundo, il y a toujours des textures électroniques plus ou moins mises en avant. Sur Hirundo, elles étaient assez lointaines mais elles étaient déjà présentes. On ne les entendait pas forcément à la première écoute. Globalement, à chaque disque, je travaille toujours de la même manière, finalement, je fais toujours la même chose.
C’est quoi cette tempérance que vous évoquez ?
L’idée c’était tout d’abord de dépoussiérer ce terme. C’est évidemment quelque chose qui vient d’assez loin, un terme platonicien. C’est d’ailleurs une vertu cardinale pour Platon. Je trouve que la définition qu’il en donnait, et qui est dans tous les manuels de philo, est peut-être un peu datée selon moi car la société change. La tempérance, aujourd’hui, ce serait de définir comment on se positionne face à tout un tas d’éléments sociétaux et technologiques. Où se situe-t-on en termes d’éthique finalement notamment par rapport à la technologique ?
Par exemple, dans le cas de la recherche sur l’intelligence artificielle, est-ce que cela va nous dépasser et surtout à quel moment l’on accepte l’empreinte de l’intelligence artificielle aujourd’hui dans notre vie de tous les jours. Souvent, on voit cela de très loin, on se dit « Ça va bientôt arriver ». En réalité, c’est déjà passé, cette conversation est un peu obsolète. On a tout un tas d’objets connectés autour de nous. Ce sera un vrai bouleversement dans le monde de l’emploi notamment. Je crois qu’il est temps de se sentir concerné et de prendre son rôle citoyen à bras le corps. Pour moi c’est cela la tempérance.
La Tempérance a donc une valeur politique ?
Tout est politique de toute façon. Pour donner des exemples plus précis, même musicaux. Il y a des logiciels aujourd’hui qui font la musique tout seul. On voit donc tout d’un coup à quel moment l’on accepte que l’ordinateur ou la machine fassent de la musique à notre place, à quel moment on le bride en fait et par extension comment arrive-t-on à mettre notre propre personnalité dans la machine ? C’est un vrai débat car aujourd’hui. Les gens ne le savent pas forcément mais cela s’entend pour ceux qui ont l’oreille un peu exercée. C’est un vrai questionnement, c’est peut-être très bien mais c’est peut-être aussi une forme d’usurpation. Où met-on le curseur là-dessus ? Par exemple sur Is it over, j’ai utilisé un vrai piano, j’avais d’abord travaillé sur des sons de synthèse et l’on ne voyait pas trop de différence. Au final, j’ai utilisé un piano acoustique et j’ai bouclé huit mesures que j’ai remis tout le long du morceau. Cela donnait une texture organique mais avec pour le coup une méthodologie très électronique en y ajoutant des filtres, des loopings et des delays affiliés à la musique de danse en fait mais pas du tout avec des sons de musiques de danse mais quelque chose de très acoustique. Là, par exemple, il y a un vrai parti-pris, une vraie empreinte. Il y a l’utilisation d’outils qui sont les outils d’aujourd’hui mais avec peut-être une vision plus futuriste des choses.
Si je vous dis Crammed Discs et Marc Hollander, cela évoque quoi pour vous ?
Cela m’évoque mes débuts dans la musique, c’était mon premier label, j’ai fait plusieurs disques avec eux et les premiers Snooze également. C’était intéressant pour moi d’avoir une ouverture européenne pour ma musique. C’était une très belle terre d’accueil.
En 1994, vous signez Cannibale, un disque essentiel de ces 30 dernières années. Comme est-il né ?
Je ne m’en souviens plus trop. J’étais à un carrefour, je découvrais la Pop symphonique de la fin des années 60, la place de l’orchestre dans la chanson. J’ai découvert des airs magnifiques avec des gens comme Scott Walker bien entendu. J’ai donc voulu travailler avec un orchestre mais en même temps, il y avait déjà de l’électronique derrière tout cela. Je le voulais un peu comme une confrontation entre deux mondes avec mes préoccupations du moment. Le disque avait été très bien accueilli. Aujourd’hui, on me parle beaucoup de ce disque mais à l’époque, pas grand monde n’en parlait. C’est un peu frustrant, je le regrette mais j’avais un peu l’impression d’être enfermé dans une sorte de carcan et même si pas mal de portes s’ouvraient à moi dans la chanson française, je me suis rendu compte que je m’ennuyais peut-être un peu dans ce milieu-là. J’ai donc commencé à développer mon projet Snooze qui, pour le coup, était beaucoup moins franco-français et m’apportait l’opportunité de m’ouvrir sur une nouvelle scène, de nouveaux médias et de nouveaux territoires. C’était bien sûr très excitant, je l’ai donc fait en parallèle, cela a très bien fonctionné car l’album s’est retrouvé chroniqué dans des journaux qui me faisaient rêver gamin comme le Melody Maker ou le NME. C’était complètement inattendu, une belle aventure intéressante à poursuivre. La question sous-jacente derrière tout ça, c’est est-ce que l’on est capable de courir plusieurs lièvres à la fois ? Pour cette fameuse raison de macération des morceaux et qu’il me fallait du temps pour finaliser les disques, c’était super compliqué de mener de front les deux carrières.
Vous parliez de cette notion de délai entre les disques, est-ce que cela explique votre difficulté de rapport avec l’industrie du disque ?
Je crois bien que l’industrie du disque n’attend rien. C’est une machine qui broie et se moque de tout, elle a seulement besoin d’être alimentée par des tonnes et des tonnes de disques qui sortent dans tous les sens.
Vous considérez-vous comme un storyteller ou plutôt comme un impressionniste ?
Je me suis toujours considéré comme un songwriter car je pense avoir toujours écrit des chansons. Après sur Tempérance, le piano est central et le piano me renvoie à la musique du 20ème siècle et également à un monde pictural que l’on dit impressionniste mais ce piano que j’appelle aussi impressionniste, c’est d’abord parce qu’il donne des impressions, on ressent quelque chose. L’auditeur, lui, a toujours besoin de compléter l’image, le process ou le cut, il y a comme un partenariat tangible et non-dit entre l’auditeur et le créateur.
Revenons sur Snooze. A l’époque, on vous a intégré à la French Touch, quel regard portez-vous sur cette période-là mais aussi parallèlement sur la scène électro d’aujourd’hui ?
Quand j’ai commencé Snooze, c’était avant la French Touch en fait. On ne parlait pas encore de French Touch, les groupes fondateurs existaient déjà et on a vite limité la French Touch à une espèce de Disco filtrée. C’était peut-être un peu un raccourci. Aujourd’hui, la scène électronique est peut-être moins « friendly » et peut-être moins naïve. Je ne suis pas sûr que la musique électronique se renouvelle moins que la musique populaire au sens large du terme parce que la musique populaire va exactement dans le même sens que l’industrie du disque. La Pop music choppe toutes les influences de la rue et du moment. C’est pour cela qu’elle est polyforme, je trouve ça passionnant, cela veut dire que tout est permis.
Lentement, on sent que Snooze vient de plus en plus nourrir votre alias Pop, que ce soit sur Ostinato ou su Americana…
C’est sans doute parce qu’il y a un lien vocal. Americana, c’était une sorte de Country électronique avec de beaux moments et de belles synthèses. C’est vrai que c’était sans doute une espèce de prélude à Tempérance. Ce que j’aime sur Tempérance, c’est qu’il y a peut-être plus de silence, en tous les cas, plus d’air. J’aime bien cette idée-là, je trouve qu’elle me représente bien. C’est toujours difficile de mettre un peu de respiration dans les chansons. Un groupe comme Talk Talk, surtout à la fin, savait mettre du silence et de l’espace. C’est en même temps flamboyant, il finit par disparaître.
Quel est votre place dans la chanson française selon vous ?
Franchement, je n’en ai aucune idée. Il faut sans doute demander aux auditeurs ou autres acteurs. Je ne peux pas me définir dans un microcosme. La question est délicate. Je n’en ai aucune idée et ma réponse est très sincère. C’est vrai qu’il y a des gens qui se réfèrent à moi, je crois qu’il y a des choses que j’ai faites qui sont un peu liées. Je me perçois comme un passeur. J’essaie de faire des propositions sur une temporalité, de puiser dans le passé et de faire des propositions actuelles avec des projections dans le futur. C’est les idées que j’ai en moi mais c’est aussi les références musicales que l’on a derrière nous et dans lesquelles on peut aller puiser quelque chose de fondateur, mais aujourd’hui il faut digérer les influences pour essayer d’en faire quelque chose de pertinent. C’est ce que j’essaie de faire avec Tempérance mais aussi tous les autres disques. J’essaie d’être un passeur bienveillant.
Sur le premier disque, Entre l’étoile et le carré, j’utilisais des boucles Hip Hop mélangées à de la guitare acoustique très « ligne claire ». C’était des mélanges qui ne se faisaient pas trop alors. Après, ce qu’il en reste, je n’en sais trop rien. Aujourd’hui, les gens sont ultra-ouverts, il n’y a plus ce genre de combat à mener. D’ailleurs c’est tellement vaste que cela tourne la tête. La presse a perdu un peu de son pouvoir, les préconisations sont peut-être moins suivies, cela se passe sans doute plus sur les plateformes de streaming. La dimension historique, les références, je crois bien que les gens s’en foutent complètement. Ils ont peut-être raison d’ailleurs.
En termes de préconisation, quels sont les disques que vous écoutez le plus ?
A vrai dire, je n’écoute jamais de musique. Je n’ai pas beaucoup de temps, je suis vite fatigué. J’écoute avec beaucoup de plaisir l’école minimaliste comme Steve Reich. Cela me détend. C’est tellement fort que j’y reviens souvent.
Dans les choses plus actuelles, il y a cette chanteuse d’origine turque que je trouve géniale, Nilüfer Yanya. Il y a aussi Little Simz avec un disque complètement fou, très « Tough ».
Interview réalisée par Greg Bod – Février 2017