La grande œuvre dont a longtemps rêvé Martin Scorsese, et malgré ses nombreuses qualités esthétiques, offre un détachement stylistique qui ressemble davantage à un aveu d’impuissance.
C’est l’achèvement, c’est la grande œuvre dont a longtemps rêvé Martin Scorsese, celle qui, depuis plus de vingt ans, le travaille et attendait son heure. Adapté du plus célèbre roman de Shūsaku Endō, Silence paraît avoir été écrit pour Scorsese (qui se destinait, dans sa jeunesse, à devenir prêtre), cinéaste croyant et tourmenté qui a toujours su opposer sa propre foi aux doutes (du sacré) et aux épreuves (du réel) par le biais de personnages d’inspiration biblique, du Jésus indécis de La dernière tentation du Christ au Max Cady vengeur des Nerfs à vif, en passant par le Frank Pierce sacrificiel d’À tombeau ouvert…
Le Père Sebastião Rodrigues, héros de Silence, se retrouve lui confronté, dans le Japon du XVIIe siècle (où le catholicisme fut introduit en 1549 par saint François-Xavier), au silence de Dieu (le fameux « Dieu est mort » de Nietzsche résonne ici avec quelques siècles d’avance) face aux souffrances endurées et perpétrées en son nom (ou plutôt le reniement de son nom), et au rejet d’une chrétienté alors interdite puis réprimée par une Inquisition pratiquant l’apostasie (par utilisation fréquente du fumi-e) et la torture (quand, au même instant, l’Inquisition en Europe punissait elle aussi, à l’inverse, tout manquement à la parole de Dieu). Rejet qu’il devra, par la contrainte, dans la douleur et la défiance, embrasser malgré lui.
À cela, le Père Rodrigues invoquera sa foi, exercera son savoir religieux comme rempart à la violence et à l’oubli, puis se perdra dans une forme d’arrogance et de crise mystique (et même d’extrémisme) qui le verra se substituer à la figure du Christ, en martyr providentiel. L’entreprise donc, pour Scorsese, revêt une valeur hautement, profondément personnelle, dans son sujet comme dans son implication. Pas sûr en revanche que le spectateur y trouve autant d’accomplissement (et, plus simplement, de plaisir) quand, à défaut de s’intéresser à tel chapitre, le film arbore, malgré ses grandes qualités esthétiques, un aspect un tantinet « leçon d’histoire » (ennuyeuse) et « cours théologique » (ennuyeux aussi) psalmodiés par une voix off arrangeante et sans intérêt.
Silence manque étrangement de passion et d’incarnation, quand bien même il se construit sur un plan d’abord immatériel et déroule, sur les deux tiers de sa durée, une banale succession de scènes d’humiliations et de sévices corporels (chair il y a donc, mais suppliciée ou brûlée). Le scénario omet (volontairement ?) d’évoquer l’évangélisation dans sa forme d’hégémonie spirituelle et sociale (mais lui conférant, dès l’ouverture, une nature victimaire) pour se concentrer d’abord sur le chemin de croix du Père Rodrigues (Andrew Garfield, agaçant, dans une interprétation qui en fait trop dans la béatitude et l’affliction).
Le film adopterait, de fait, son unique point de vue, détaché alors de toute remise en question autre que ses atermoiements divins, ce que viendra plus ou moins légitimer l’échange (infructueux) avec le Père Ferreira. Scorsese a voulu dire le vacillement des convictions face à l’humain multiple (le miséreux, le dévot, l’oppresseur, le dissident…), la faillibilité de ce que l’on croit être une (seule) vérité, montrer jusqu’où aller par amour de Dieu, quitte à s’en détourner. Mais, comme impressionné par l’ampleur du projet et ce qu’il représente pour lui, Scorsese n’a pas su le porter avec une vraie ambition, y préférant une sorte de détachement stylistique censé répondre au sérieux et à la probité du propos (pas de musique, mise en scène et montage dépouillés), mais ressemblant davantage à un aveu d’impuissance.
Michaël Pigé
Silence
Film américain réalisé par Martin Scorsese
Avec Andrew Garfield, Liam Neeson, Adam Driver…
Genre : Drame
Durée : 2h42min
Date de sortie : 8 février 2017