Tanguy Viel raconte l’absolue perfection d’un crime. Celui perpétré par Martial Kermeur, ancien ouvrier à l’arsenal de Brest, victime d’un escroc de l’immobilier. Récit de son audition devant le juge, en forme de quasi monologue. Haletant.
© Patrice Normand
Qu’il est bon de retrouver les mots de Tanguy Viel. Sa plume nous avait manqué depuis son dernier opus datant de 2013. Son écriture qui décortique les tourments de l’âme humaine. Qui passe aux rayons infrarouges nos turpitudes existentielles. Qui autopsie avec méthode nos coups de blues. Et les affres de l’âme de Martial Kermeur sont un bon matériau. L’ancien ouvrier breton a voulu croire à une vie meilleure… À un gros bateau amarré dans la rade… À un avenir heureux pour son fils. Et dire qu’il n’en était pas loin ! Quand, ce soir-là, tous les bons numéros de sa grille de loto sont sortis. Quand, ce soir-là, devant le petit écran de télévision, la bière tiède aurait pu devenir champagne bien frais. À deux doigts d’un soir de fête. Ce fut plutôt celui d’une défaite. Martial a oublié… de valider le ticket !
Depuis ce jour, Martial n’a plus été le même homme. Sa confiance en lui s’est évanouie. Le regard de son fils est devenu difficile à soutenir. Martial est cet homme défait quand Antoine Lazenec débarque dans le paysage. Il n’y a plus qu’à appuyer là où Martial a mal. Son ego en miettes. Son honneur de père réduit a minima. Le harangueur Lazenec fera alors son show devant les édiles et une population qui attendait l’Homme providentiel. Il remplit son rôle à merveille. Martial Kermeur raconte au juge. Le flot de sa parole semble ne plus s’arrêter. Parfois le mot juste ne sort plus. Ça flotte. Le juge relance. Martial reprend sa marée verbale. Mais dans sa tête, ce n’est plus la tempête. Ça fait un petit moment maintenant que les idées de Martial sont claires. Limpides, même. Il veut simplement que le juge comprenne. Martial, le porte-parole des « petites gens », tous floués par Lazenec, l’escroc qui n’aimait pas les pauvres.
Tanguy Viel n’est pas du genre à livrer une harangue politique. L’auteur est bien plus pudique que cela. Son écriture bien plus subtile. Sauf que la réhabilitation des classes populaires est évidente ici. Parce que l’écrivain prend le parti du criminel. Et nous avec lui. Amoral ? Ce n’est pas une fable. Pas de morale à l’histoire. En tout cas, Tanguy Viel ne sermonne pas. Mais il laisse son lecteur K.-O. Impossible de se détacher si facilement de cette histoire politique, au sens civique du terme. Faire société. Comment vivre ensemble quand un Lazenec profite de la fragilité d’un Kermeur ? Pourquoi Kermeur attendait-il un homme providentiel pour échapper à sa misère ? Pourquoi la population bretonne de ce roman s’est-elle soumise ainsi à la tentation de ce messie de pacotille ? Et pour se délivrer du mal, Kermeur n’avait plus d’autre choix. Il s’est enfin affirmé face à Lazenec, dans un dernier « Amen ». Touché ? Coulé !
Delphine Blanchard
Article 353 du code pénal
Tanguy Viel
Éditions de Minuit
176 pages, 14,50 €
Date de parution : janvier 2017