Mélanie Allag et Aurélien Ducoudray étaient présents au dernier Festival d’Angoulême pour parler de L’Anniversaire de Kim Jong-il un récit coup de poing sur la situation en Corée du Nord, un pays agonisant sous la chape mortifère de la pire dictature du monde.
Pour distiller un peu de lumière à un sujet aussi effroyable, il fallait bien la gentillesse et le joli sourire mutin de Mélanie Allag. Ses pinceaux, davantage rompus à l’illustration jeunesse, viennent apporter à l’ouvrage une touche de légèreté et de candeur, qui par un effet de contraste saisissant, fait ressortir toute la cruauté du régime de Kim Jong-il. Quant à Aurélien Ducoudray, scénariste prolifique de bande dessinée, s’il était encore dans le train au moment de l’interview, il a toutefois accepté d’apporter sa contribution via e-mail à cet entretien.
Comment est né le projet et comment vous-êtes vous rencontrés ?
Mélanie Allag : Aurélien a eu l’idée de cette histoire après avoir lu un récit de témoignages, Rescapé du camp 14, qui raconte le parcourt d’un jeune homme né dans le camp de Yodok. C’est ce témoignage qui lui a donné envie de travailler sur le sujet, mais en racontant ça du point de vue d’un garçon ordinaire de huit ans, un petit Nord-coréen fier de sa patrie. Et pour ce faire, Aurélien, qui connaissait mon travail en illustration jeunesse, avait besoin d’un trait qui vienne singer le côté pop de l’imagerie de propagande, un graphisme proche de l’univers de l’enfance et donc de notre héros. Il m’a ainsi envoyé ce scénario, que j’ai adoré dés la première lecture.
L’histoire grouille d’anecdotes incroyables et qui font froid dans le dos (le recyclage des excréments, la propagande télévisée qui recommande deux repas deux fois par jour « pour retrouver la santé »…). A partir de quels éléments avez-vous travaillé quand on imagine la difficulté pour enquêter dans ce pays ?
Aurélien Ducoudray : Essentiellement des livres de témoignages de rescapés nord coréens, on en trouve plusieurs assez facilement : Vies ordinaires en Corée du nord de Barbara Demick, Le dernier testament de Kim Jong-il, d’Arnaud Duval, Je regrette d’être né là-bas, de Marie Buissonnière et Sophie Delaunay, ou encore Les Aquariums de Pyongyang, de Kang Chol-Hwan, tous disponible en librairie. Il en existe beaucoup d’autres mais ce qui m’intéressait en particulier ce sont les témoignages directs non romancés, bruts, avec un souci de respecter aussi les registres de langages de la diversité des « témoignants »… Quand on dit qu’on a aucune info sur la Corée du nord, c’est faux, par contre les medias se focalisent sur toujours les mêmes manifestations du pouvoir : exécutions, tirs de missiles etc. La vie quotidienne intéresse beaucoup moins, pourtant c’est dans ces petits détails que se nichent toute l’horreur du régime.
Parlez-nous de la façon très originale dont vous avez traité l’histoire…
M.A. : L’histoire se déroule dans les années 80/90, sous Kim Jong-il, on suit donc la vie d’un petit nord coréen de ses 8 ans à ses 16 ans. Au début Jun Sang est le chef des jeunesses patriotiques de son quartier, il vénère Kim Jong-il et le soldat Weng, son héros de BD préféré (une sorte de Captain America sauce Nord Coréenne). Graphiquement, il fallait que le début du récit suivent les codes de l’imagerie de propagande, la couleur a donc ici un rôle dans la narration, puis au fil des épreuves que Jun Sang va rencontrer, elle va finir par disparaître complètement dans la seconde partie du récit sur le camp de travail. Sur ces derniers chapitres, le traitement graphique est un peu plus dur. On a vu Jun Sang grandir au fils des pages, jusqu’au dénouement ou on sort un peu la tête de l’eau, et la couleur revient.
Mélanie, toi qui a beaucoup illustré pour la presse jeunesse, as-tu aimé aborder la bande dessinée ? Envisages-tu de retravailler avec Aurélien – ou un(e) autre scénariste – sur un nouveau projet de BD ?
M.A. : J’ai adoré travailler sur cet album, venant de la presse et l’édition jeunesse, où les projets sont souvent plus courts car la pagination n’est jamais très élevée. C’était très intéressant de faire grandir un personnage sur plusieurs années. C’est un tout autre exercice que j’ai adoré, même si cela à été un vrai marathon. Je reprends pour le moment le cours de mes projets jeunesse, mais nous prévoyons déjà un autre album (qui n’a rien à voir avec la Corée du Nord) avec Aurélien pour la suite.
Aurélien, peux-tu nous parler de tes projets en cours ?
A. D. : Les Chiens de Pripyat avec Chris Alliel chez Grand Angle vient tout juste de sortir. Il s’agit d’une histoire inspirée d’un témoignage lu dans La Supplication de Svetlana Alexievitch, Prix Nobel 2016, où des hommes doivent tuer des chiens pour trente roubles par tête, six mois après l’explosion de Tchernobyl en 1986, craignant que ceux ci ne contaminent encore plus la région. On suit quatre hommes et le jeune fils de l’un d’eux alors qu’ils s’enfoncent dans la zone afin d’exercer leur sinistre tâche. C’est un récit tiré d’une histoire vraie, avec un léger parfum fantastique que j’ai souhaité rajouter. Une façon d’explorer de nouvelles pistes dans mon travail.
Propos recueillis le 26 janvier 2017 à Angoulême par Laurent Proudhon