Depardieu reprend quatorze chansons de Barbara en compagnie du pianiste qui a longtemps accompagné la dame en noir. Bouleversant.
En France, dans la musique destinée au plus large public, on n’a pas toujours d’idée mais on a des disques de reprise. On était en droit d’être prudent à l’écoute de ces reprises de Barbara par Depardieu mais on peut l’avouer que le scepticisme ne résiste pas longtemps face à la qualité du résultat et son évidente sincérité.
Quoi de plus difficile que de se réclamer de Barbara ou pire de la reprendre. On ne s’attardera pas ici sur certains « chanteurs » qui, non seulement, n’en finissent pas de se casser la voix mais aussi certaines parties peu polies de notre anatomie. Même Daphné s’était un peu prise les pieds dans le tapis avec cet exercice trop respectueux du répertoire. Car l’ombre de la dame en noire est encore encombrante et qu’il est difficile de prendre ses costumes sans donner l’impression d’en être une copie sans saveur. Ce qui piège les chanteurs, c’est qu’ils sont justement chanteurs et qu’en terme de comparaison, leur interprétation sera toujours en deçà. Ils ne seront au mieux que Monique Serf mais jamais Barbara. C’est peut-être justement parce qu’il n’est pas chanteur et n’en a pas la prétention que Gérard Depardieu livre ici une expression bouleversante des chansons de son ami musicienne. De cette amitié provient la totale légitimité du projet mais aussi de la présence du pianiste et compagnon musical de longue date de l’aigle noir, Gérard Daguerre. Entre classiques et titres plus obscurs, les deux hommes veulent faire perdurer le répertoire de Barbara, le maintenir au temps présent et lui éviter le purgatoire d’un oubli impossible.
En ouverture, dans L’île aux mimosas, d’une voix maladroite, tremblante, presque fébrile, Depardieu s’approprie les mots de Barbara et l’on devine progressivement l’ombre de la dame qui se dessine dans un coin de la scène.
« Toi que j’ai souvent cherché, à travers d’autres regards, et si je t’avais trouvé, et qu’il ne soit pas trop tard. Pour le temps qui me reste à vivre, je stopperai mon piano ivre pour pouvoir vivre avec toi sur ton île aux mimosas. »
Depardieu n’est certes pas un chanteur et ne le prétend pas mais c’est en tous les cas un immense acteur et il tire de la faiblesse de son chant une intimité paradoxale, une empathie rassurée avec les mots, la vie, le parcours de Barbara. Bien sûr, parfois, on sent bien plus le Depardieu du mot dit, loin de la musicalité. On n’est jamais loin du grand frisson comme sur Mémoire, mémoire ou cette sublime chanson, Drouot, qui résiste à toutes les offenses. Il n’y a guère que Cora Vaucaire à avoir su chanter Barbara sans se croire Barbara. On se rappelle aussi du Lily Passion, spectacle qui avait réuni Depardieu et la chanteuse. C’est un juste retour des choses de voir l’acteur retrouver les chemins de La solitude ou de L’aigle noir car quelque part, il retrouve une certaine fièvre, un lyrisme qui l’habitait chez Truffaut ou Blier. On retrouve quelques accents du Gabin du Chat dans Nantes, la seule expression d’un verbe intime dont seul un acteur peut trouver le ton juste. Frisson encore à l’écoute de A force de écrit par Barbara pour Guillaume, le fils à la dérive, corps perdu aujourd’hui.
Cette voix au bord du souffle d’un Depardieu magistral, délicat qui n’a que faire de toute virilité, de toute force épuisée. On entre dans ce disque avec un scepticisme que l’on ne dit pas, la crainte de voir un éléphant entrer dans un magasin de porcelaine et tout briser mais c’est oublier ici toute l’étendue du talent d’interprète d’un immense acteur superbement dirigé par sa passion et sa sincérité.
Greg Bod
Gérard Depardieu – Chante Barbara
Label : Because Music
Sortie le : 10 février 2017