Quatre femmes, la plupart au foyer, dans un quartier résidentiel et littoral très aisé de Californie, des histoires minimes qui deviennent de vrais séismes relationnels…ça ne vous rappelle rien ?
Au delà de cette première fausse impression, le nouveau bijou de HBO intrigue. Qu’en est-il vraiment ?
Évidemment, les points communs sont d’entrée visibles. Mais réduire cette série à un Desperate Housewives chic et toc, comme beaucoup l’ont déjà fait, serait une erreur. Car si l’environnement de base de cette mini-série évoque Wisteria Lane et ses habitants, les créateurs auront tôt fait de transformer le semblant de soap opera attendu en une possible tragédie grecque.
L’histoire, sans en déflorer tous les atours est basique, déjà vue : Jane, une jeune mère, élevant seule son enfant, débarque dans une ville bourgeoise côtière californienne, et rencontre Madeline, femme au foyer au tempérament très fort, et sa copine Céleste, ex-avocate et désormais simple maman. Une petite histoire entre leurs enfants de CP va unir les trois femmes, et leur opposer une rivale très working girl, pour terminer par un meurtre, sans que l’on sache encore qui et pourquoi.
Une intrigue sous forme de thriller qui ne sert, comme toujours, que de prétexte à l’auscultation en profondeur des personnages, complexes et fascinants. Car c’est l’originalité de cette mini-série de 7 épisodes, estampillée HBO et qui ne déroge pas à la règle (production de luxe, actrices cotées, ambiance mise en scène soignée) : la série prend vraiment le temps. Le temps de comprendre de quelle manière un petit incident peut s’avérer lourd de conséquences (comme dans La Gifle) et comment des gens s’enferment dans leurs névroses, aidés par des environnements luxueux et une vacuité de vie énormes (un peu de Revenge, un peu de Desperate, oui…).
Si le thème rebattu et une énième peinture des classes très bourgeoises de la société américaine (qui s’emmerdent) donnent un côté « pff encore » à la réception de Big Little Lies, l’interprétation hors pair et la réalisation plutôt fine et inspirée de Jean-Marc Vallée (CRAZY, Dallas Buyers Club…) emportent l’adhésion, voire l’empathie pour ces mères toutes proches du burn-out ou de la dépression. La série explore avec finesse toute la complexité des rapports humains quand l’ennui, le luxe ou le non-dit demeurent les seules caractéristiques des existences. Ça stagne ou ça casse, et à chacune ensuite de savoir balayer devant sa porte.
Les quatre actrices principales, rompues à l’exercice du cinéma, sont tout de même impressionnantes : Reese Whiterspoon est à la fois agaçante et géniale en hystérique au bord de la crise de nerfs, Laura Dern en tenue de femme parfaite alliant travail, maison, relations amicales et sociales est impeccable aussi, mais la palme de l’émotion revient à Shailene Woodley (« Divergente ») qui, en pivot borderline de l’intrigue, épate, toute en retenue et violence confondues, et Nicole Kidman, en épouse effacée, trop vite retraitée, qui subit la violence conjugale de son mari – tout en semblant y trouver une malsaine satisfaction, est absolument géniale. Sur certains longs plans fixes sur son visage (maintes fois passé au bistouri), on retrouve de nombreux sentiments mêlés, contradictoires, qui en font un personnage torturé, compliqué, qu’on redoute autant qu’elle nous émeut.
Elle est à l’image de Big Little Lies, dont la surface lisse et clinquante laisse pourtant au téléspectateur un sentiment malsain, étrange, dans l’attente de ce drame opaque et qui nous sera bientôt dévoilé. En attendant, le focus sur ces petits drames bourgeois qui cachent des fêlures terribles est un régal pour nos yeux, du pur cinéma sur petit écran.
Jean-françois Lahorgue