Chronique plus qu’enthousiaste à propos d’un disque dont on regrette de ne pas avoir évoqué toutes les richesses au moment de sa sortie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Faute reconnue, à demi pardonnée. Ce septième disque de Mathieu Boogaerts sorti en novembre dernier dans une pleine période de sorties est resté longtemps sur la piste des disques à chroniquer. Sans doute que si nous lui avions donné l’écoute qu’il mérite, ce nouveau disque de Mathieu Boogaerts se serait retrouvé haut, très haut dans nos classements de l’année passée.
Faute reconnue, à demi-pardonnée. Trop de disques sortent chaque année, l’industrie de la musique n’arrêtant jamais sa machine à broyer. On se retrouve régulièrement avec des piles et des piles de disques toujours plus branlantes, prêtes à tomber. On priorise nos écoutes.. Quel vilain mot ! On rationalise notre passion, on se crée des rations de survie. Pourtant, ne tombent pas toujours entre nos mains des disques passionnants, parfois, même, ils nous tombent des oreilles. On cherche à nous les vendre à grand effort d’emphase et de grandiloquence. Trop de disques sortent chaque année, on ne peut suivre le rythme. C’est inhumain.
Faute reconnue, à demi-pardonnée. En novembre, c’est l’hiver qui s’installe et notre hibernation qui s’enclenche. Cet espèce de No Man’s land où l’année musicale est quasi jouée, où l’on est déjà à réunir ses 10, 20, 50 ou 100 disques incontournables de 201. Ou 201. On devrait donc interdire des sorties de disques en novembre ou en décembre car ils viennent déranger la minutie de nos classements.
Faute reconnue, à demie-pardonnée. Mathieu Boogaerts est sans doute l’un de nos artistes les plus attachants car il est aussi l’un des plus discrets. C’est donc la faute à Mathieu et puis c’est tout. Pourtant on l’avait écouté ce nouveau disque, Promeneur. On y était entré de suite, comme chez un bon copain que l’on connaît bien, mieux que lui-même.
Faute reconnue, à demi-pardonnée. C’est pour moitié la faute à Mathieu, pour moitié la faute de mon tapis et de mon plancher. Pourquoi pas ? Je vous ai déjà dit que plus l’année avance, plus les piles de disques s’entassent, plus elles deviennent branlantes. Promeneur, dernier album lumineux de Mathieu Boogaerts, était sur le sommet de cet Everest de papier, de plastique, de mots et de notes, coincé sur le dessus de mon piano droit. Et Badaboum, un de ces jours que je n’étais pas là, patatras, voilà que l ‘agencement fragile s’écroule. On me range tout cela à la hâte sans rien me dire. C’est donc la faute à ma femme !
Voici ce disque promeneur coincé à l’arrière de mon piano et c’est mon balai justicier, vaguement archéologue à ses heures perdues qui vint l’en sortir la semaine passée. Pourtant dès les premières mesures de ce septième album de Mathieu Boogaerts, ce Promeneur onirique charme sans affèterie ni trompette. Il y a toujours dans la musique du monsieur cette simplicité évidente et empathique. D’un Qu’en est-il en forme de bilan paisible à ce dessin d’enfant, ces coups de pinceaux, ce portrait et cette vision de soi que l’on a du mal à comprendre et à accepter sur Bizarre. On y parle du rapport entre l’homme et l’enfant, soi et sa propre image, tout est dit avec une économie d’effets et de mots.
Il est souvent question de fuite dans la musique de Mathieu Boogaerts mais aussi dans ses compositions avec ce je ne sais quoi d’Henri Crolla ou de Mocke comme sur ce Pourquoi pas incertain. Bien souvent, quand on parle d’Orso Jesenska qui vient de sortir un nouvel EP indispensable déjà chroniqué en ces pages, on cite parmi ses références Dominique A mais comme pour John Trap ou Arnaud Le Gouëfflec, on retrouve un peu de l’indolence étrange de Mathieu Boogaerts. Un titre comme Chhh ne dépareillerait pas dans le répertoire de ces gens-là.
Boogaerts joue de l’équilibre, sur le fil, un pas de trop et il sombrerait dans l’incertain. D’une mélodie au Bas de laine toute en africanité filtrée par une sensibilité à la Moustaki, Boogaerts ressemble toujours à un Candide, un ingénu, un naïf, un Philémon dans le monde du grand A. Un quarantenaire caché dans l’esprit d’un petit garçon ou un petit garçon caché dans le corps d’un quarantenaire comme ce Méchant, constat d’échec d’un pacifiste, d’un adepte du compromis.
On sent bien que ce disque est une œuvre enregistrée dans un cocon, ici, dans une maison isolée à la montagne et plus que jamais la musique de Mathieu Boogaerts est un appel à la rêverie, une forme de refuge de ce qui est trop laid, loin de L’enfer. Mathieu Boogaerts est sans doute parmi les musiciens de notre scène hexagonale celui à la plume la plus singulière, point de ralliement possible entre la scène qui va du label Le saule à Thomas Fersen en passant par Dominique A.
Une écriture du non-dit, du suggéré, jamais bien loin de l’effacé mais aussi proche des cimes. Prenez Petit vent et ses tonalités Roots, on jurerait y entendre chanter en créole, voir les marabouts qui réveillent les zombies. Comme quoi, l’on peut parfois être profond en étant léger. Il faudra longuement se pencher sur le caractère allusif des textes du monsieur, écoutez Va et vous comprendrez la pertinence des textes ouverts et parfois menaçants de Mathieu Boogaerts.
Mathieu Boogaerts nous redonne le droit de s’émerveiller, de prendre conscience à nouveau de la beauté des choses, d’affirmer les petites choses qui donnent le goût de la vie. C’est peu certes mais on sait accepter la main que l’on nous tend.
Greg Bod
Mathieu Boogaerts – Promeneur
Label : Tôt ou tard
Sortie le 04 novembre 2016