Douze caresses, douze titres fragiles signés du pianiste Daigo Hanada dans un album touché par la grâce.
Au plus profond de l’hiver, n’avez-vous jamais eu envie de ressentir la chaleur d’un soleil de juillet sur votre peau ou encore d’être saisi par l’exquis frisson à l’approche de la vague qui monte ? N’avez -vous jamais cherché entre les gouttes de pluie d’un ciel plombé ces petits étincellements minuscules sur la surface d’un lac ? Vous savez, ce moment que l’on ne peut réfréner où l’on n’en peut plus de l’hiver et de sa cohorte de jours qui se suivent et se ressemblent, ces nuits pareilles les unes aux autres. Cet épuisement de nos sens, cet envie de sentir la vie qui jaillit, les arbres qui renaissent. Parfois, la musique peut être un début de réponse, la renaissance d’un dialogue comme ce sera le cas, à coup sûr pour vous avec l’immense délicatesse de ce premier disque du tokyoïte Daigo Hanada, Ichiru pour « fil » en japonais. C’est bel et bien une ligne de vie que ce premier disque autocentré autour d’un piano étouffé mais cristallin. Un fil ténu mais précieux.
Je vous vois déjà venir. « Mais on a déjà entendu cent fois des disques au Piano, Keith Jarrett le faisait dans les années 70, Nils Frahm est le meilleur d’entre nous aujourd’hui. » Sauf qu’ici, le propos empreint d’un poésie profonde, d’une mélancolie sans pareil et d’une tendresse sans recul résiste à toutes les prudences. Bien sûr, il y a ce lyrisme si singulier, si propre à la culture nippone d’aujourd’hui. C’est un peu comme si naturellement, sans surprise, à l’image d’une Mia Farrow qui traverse l’écran vous rentriez dans les images contemplatives d’un Jiro Taniguichi ou que vous poursuiviez en vain le papillon de Still Walking de Kore Eda. Par contre, ce qui reste universel, c’est cette émotion intense que l’on ressent à l’écoute de Solitude ou encore de And This How It Ends. On retrouve ici un peu de ce que l’on aime dans le piano minimal de Goldmund mais on y croise aussi l’école romantique. On y cherchera quelques traces éparses d’un ambient organique et crépitant. On jurerait entendre le feu dans la cheminée, le ronronnement métronomique du chat sur son coussin.
Chaque musique a ces moments, celle que l’on partage, celle que l’on garde pour et en soi, celle sur laquelle on danse, celle que l’on entend à peine, celle qui nous irrite. Celle de Daigo Hanada, c’est celles des nuits, cette lumière qui met à distance la peur des grands couloirs sombres avec les cris sourds que l’on entend parfois. Ces nuits qui se finissent, ces heures bleues où l’on n’entend pas encore les premiers oiseaux mais on en anticipe la chaleur. Ces nuits qui commencent, la caresse d’une main sur la joue. La musique, cela peut parfois ressembler à un frisson, à de la neige qui chute au sol, à de la poussière qui tombe des ailes d’un papillon, à quelque chose d’infiniment fragile qu’un rien pourrait perturber. Entrez donc à pas mesurés dans cet Ichiru de Daigo Hanada, suivez le fil ténu dans l’obscurité et laissez-vous aller et appréciez à sa juste mesure cette horripilation incertaine de vos sens et sans doute, sentirez-vous le dégel et les premiers signes d’un printemps précoce.
Greg Bod
Daigo Hanada – Ichiru
Label : Moderna Records
Sortie le : 24 février 2017