Jane Birkin réinterprète le répertoire de Serge Gainsbourg accompagnée d’un orchestre symphonique et amène à cet ensemble une pertinence frissonnante.
On a tout dit, tout lu et tout vu sur Serge Gainsbourg. On a tout tenté, parfois réussi, parfois raté. On l’a tellement pillé qu’il doit parfois s’en retourner dans sa tombe. Prenez ces beuglantes qui font les têtes de gondoles des vendredi soirs en prime time sur TF1 qui n’ont rien compris à ce chant murmuré qui distille la prosodie et la rythmique du langage du grand Serge. Il doit bien rigoler, le vieux, de voir ces gamins qui lustrent l’icône à grands coups de respect à côté de leurs pompes. Lui, un poète ? Que nenni, un vulgaire tâcheron qui a écrit quelques trucs pas dégueux. Lui qui considérait la chanson comme un art mineur et qui montait aux pinacles la grande musique, la seule digne à ses yeux d’être considérée comme faisant office d’œuvre à part entière. C’est dire la pertinence à faire se télescoper l’artisanat de la chanson avec la puissance d’un orchestre symphonique. Jane Birkin l’a fait avec quelques vrais moments de réussite.
On avait au départ quelques réticences à la voir investir ce terrain-là mais force est de reconnaître que même si l’on connaît la fragilité de sa voix, cette combinaison avec un grand orchestre, plus que de l’étouffer provoque un contraste plus qu’heureux.
D’un Lost Song sous l’influence des compositeurs russes comme un clin d’œil aux origines de Gainsbourg à Dépression au-dessus du jardin marqué par le sceau de Ravel, Jane Birkin prouve qu’elle est la seule des interprètes de l’auteur de Melody Nelson a pouvoir assumer une telle empathie avec les mots et la matière musicale car elle est elle-même dans l’ADN de ces compositions, dans leur histoire, dans les messages subliminaux glissés ici et là de Serge à son amante ou à celle qui l’a quitté.
Jane Birkin amène ce petit plus d’ambiguïté dans Baby Alone in Babylone pour peut-être l’une des plus belles versions du titre. Par contre, Valse de Melody ne tient pas la comparaison avec celle du disque original car c’est cette sécheresse feutrée qui convient le mieux et non pas une minauderie pudique.
Là où Birkin est la plus forte c’est quand elle maîtrise son maniérisme comme sur Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve ou Une chose entre autres et son violon qui vient souligner le judaïsme de Gainsbourg. « Qui peut être et avoir été ? », voilà la question posée dans Amour des feintes avec cette certitude des mots vécus plus qu’interprétés par Jane Birkin.
Ce qui reste intact, peu importe l’interprétation et même sa qualité, que l’on soit un beuglant ou un murmurant, que l’on soit Mick Harvey, Nick Cave, Jane Birkin ou un produit industriel insipide, c’est la force de ces compositions, leur actualité et leur résolue modernité.
C’est toujours fort de voir des artistes se réapproprier le répertoire d’un autre pour éviter d’en faire une icône intouchable que l’on respecte trop pour accepter de l’amener ailleurs. Jane Birkin parvient avec ce disque à sortir Gainsbourg des territoires balisés, du mythe un peu usagé.
Il ne faudrait pas oublier non plus combien Serge Gainsbourg s’est inspiré pour sa propre musique du répertoire classique, piochant chez Chopin et quelques autres. C’est un juste retour d’ascenseur ou de boomerang (sic) que la musique classique aille piocher dans le répertoire de Gainsbourg, elle le lui devait bien !
Greg Bod
Jane Birkin – Birkin Gainsbourg : Le Symphonique
Label : Parlophone
Sortie le : 24 mars 2017