En vacance de son projet Alone With Everybody, Camille Bénâtre continue d’apprivoiser la langue française avec ce second disque solo qui le place entre Manset, Christophe et Sheller.
On se rappelle avec plaisir du projet Toulousain Alone With Everybody mené par Camille Bénâtre et ses amis qui office dans une dimension folk pop plus que respectable. Au même titre que certains artistes trouvent toutes leurs dimensions sur scène, Camille Bénâtre a trouvé son mode d’expression le plus singulier, le plus attachant et le plus original dans ces chansons en solo et affirmées dans une langue française riche. On avait déjà repéré son travail sur son premier disque (Les rendez-vous manqués) soutenu par l’excellente La Souterraine en 2015.
Tout au long de ces 10 titres, Bénâtre travaille la maîtrise d’une émotion et vient palper là où tout se cache. On retrouve bien sûr ici et là quelques références. On pensera à Gérard Manset à l’écoute du Sémaphore ou encore à Sheller en discussion avec Christophe pour cette voix haute, sur le fil sur Soir d’orage. Les influences n’empêchent pas l’émotion et la magie de s’installer. Que cela soit sur La fille du nord et le chat orangé ou Les genoux du grand-père, on est emporté par cette poésie qui se nourrit d’une grande culture d’arrangements, ceux entendus chez un Eric Demarsan par exemple. Pourtant, rien d’exceptionnel ne se joue vraiment ici mais c’est sans doute de la dimension de simplicité que naît cette sympathie immédiate pour la musique du toulousain. Rarement, on est émus aux larmes par un titre, pour moi, la dernière fois ce fût 1983 de Mendelson. Des larmes de joie, le cœur qui ralentit un peu sa course comme pour laisser toute la place à la musique de Camille Bénâtre.
Chez lui, on sent cette envie de rester à la bordure, loin du tumulte. N’y voyez pas un manque de courage mais plutôt la crainte de l’autre, la peur d’être débordé. Il faut entendre la lucidité apaisée de Pour Vivre. Camille Bénâtre joue parfois avec les effets et la conjugaison d’un son au passé « kitschisée » comme dans La vie se rit de nous que l’on verrait bien chanter par la jeune Jeanne Moreau. Car la vie est un tourbillon moqueur. Car Camille Bénâtre est un esthète qui a bien compris que c’est en allant sur le bord du gouffre que l’on venait nourrir ses notes d’un supplément d’âme. On pensera au Last Morning Soundtrack de Sylvain Texier pour cette émotion à la fleur dans Les jardins du passé.
Camille Bénâtre atteint une maturité dans l’écriture qui lui permet d’oser le classicisme sans paraître éteint ou passéiste. C’est en éclairant sa mélancolie qu’il devient lui, seul et unique. Et peu importe si certaines chansons semblent des aveux, peut-être même des appels à l’autre qui n’est plus là comme Avant le 13 et sa diction de la solitude. Peu importe que cela nous mette en position de spectateurs d’un drame du commun car finalement nous sommes tous un jour ou l’autre de ce drame-là. Le propre de l’artiste, ce n’est pas de reconstituer un monde mais de provoquer quelque chose, l’émergence du souvenir que l’on n’a pas vécu, l’autoportrait d’un être qui n’est pas nous mais qui est un peu ce que l’on a été.
Greg Bod
Camille Bénâtre – Ilot de consolation
Labels : Hidden Bay Records / Les Disques Woody / La Souterraine
Sortie le 03 avril 2017