Un solo piano parfois accompagné de quelques cordes et d’un orgue au menu de ce premier album minimaliste du danois Jonas Colstrup.
Les plus curieux d’entre vous auront peut-être déjà repéré Jonas Colstrup à travers les nombreuses B.O de films et documentaires qu’il a pu faire dans son pays natal, le Danemark. Il sort ici un disque splendide de musique contemporaine avec un piano magnifique et minimal.
Ceux d’entre vous qui me font la gentillesse de lire mes chroniques sur Benzine ont appris à me connaître un peu car qu’on le veuille ou non, on dit toujours un peu de soi à travers même des critiques musicales. Sans faire preuve du moindre égocentrisme, vous avez appris à goûter mon enthousiasme parfois débordant. Plus c’est triste et dépouillé, plus c’est folk et plus cela me parle. Vous connaissez désormais ma porosité à la chose minimale et infiniment petite, celle synonyme du silence. Je peux bien vous l’avouer ici, en vieillissant, j’en arrive à écouter de moins en moins de Pop et à tendre vers la musique orchestrale ou contemporaine.
Rien d’étonnant à retrouver mes mots exclamatifs à la sortie d’un disque de piano bien troussé comme dernièrement le magnifique Ichiru de Daigo Hanada évoqué en ces pages. Rien de guère surprenant non plus à ce que la musique de Jonas Colstrup se retrouve ici. N’ayant sorti que des B.O de films à ce jour, certaines superbes d’ailleurs, le danois s’essaie à un premier disque et offre de nombreux frissons avec un piano étouffé parfois accompagné d’instruments à cordes et d’un orgue. Il n’évite pas quelques facilités et autres maladresses comme ce Flow inaugural très directement inspiré de Debussy mais il sait aussi s’écarter des références pour proposer un jeu très simple et sans artifice comme Vesterhavet. On sent chez lui des tropismes bergmaniens, une forme de transcendance et d’élévation mystique étouffée par le pessimisme. Cela crée ce petit quelque chose que l’on retrouvait autrefois dans la musique de Nino Rota, comme sur le vaporeux Shift. Transition nous fera penser parfois aussi à Dakota Suite pour ce sens de la monotonie, ce lien ténu avec la tristesse.
Il pêche parfois d’une volonté trop illustrative qui parfois nuit à sa musique, sans doute le piège facile dans lequel un compositeur tombe quand il est trop habitué à accompagner l’image. Il y a la musique qui accompagne le mouvement et puis il y a la musique qui est le mouvement. C’est pour cela que l’on ne s’attardera pas sur Changing Light aux relents de déjà vu pour puiser ce que l’on trouvera dans Slow Down aux accents involontaires sans doute de la B.O de Marvin Hamlisch du Choix de Sophie, cette superbe adaptation du roman de Styron avec Meryl Streep et Kevin Kline.
Il y a dans la musique de Jonas Colstrup une vision un peu désuète et pas la moindre volonté de coller à des tonalités en vogue. Il suffire pour s’en rendre compte d’écouter les intemporels Circuit Paths ou la circonvolution de Saturn et se laisser à un abandon incertain. Comme le dit le titre de ce disque, on est quelque part à la charnière du son et du silence, dans un entre-deux. Cet infime instant avant la plongée dans le sommeil, cette particule de presque conscience avant l’éveil, ce coton léger qui a les contours d’un Sleepless.
Bien sûr, l’on ne se refait pas, je suis un indécrottable enthousiaste et la moindre parcelle de poésie dans ce monde de brutes épaisses que nous sommes suffit à me combler. Gardez vos guitares Garage et vos amplis à fond, tempérez votre énergie et vos refrains accrocheurs car parfois, ce qui compte, c’est juste la sincérité d’une caresse sur les touches d’un piano et c’est bien assez pour me ravir et peut-être vous aussi.
Greg Bod
Jonas Colstrup – Between Sound And Silence
Label : Aroona
Sortie le : 28 janvier 2017