Tout en mélancolie et en toute intimité, Babx déambule sur sa pente abrupte en compagnie d’une bande d’alpinistes musicaux. L’équipée a le triomphe modeste et la cordée simple et assurée.
Elle est presque belle l’évolution musicale de David Babin aka Babx. Son premier album publié chez On Music faisait entendre de manière hésitante, à pas de loup, son goût pour le jazz au piano, lui qui rappelait dans sa bio qu’il n’en tirait aucun mérite, juste l’émulation d’un petit garçon jadis toujours fourré sous le piano de sa mère. On l’ a connu toujours discret, dans l’ombre de Raphaële Lannadère, artisan relecteur de la musicalité de sa compagne. On l’a découvert par hasard auteur pour Nouvelle Star en quête de succès pop derrière Camélia Jordana. Puis vint Drones Personnels chez Cinq7 où le gentil échevelé revêtait les habits de performer pop, éclosait et donnait à sa faconde d’auteur l’écrin rutilant dont on fait les artistes qui passent sur les radios nationales lettreuses. Pas de côté, ensuite, besoin de se recentrer, de se refaire tout petit: il revenait il y a une grosse paire d’années sur son propre label, reprenant la substantifique moelle des poètes qui l’enthousiasment et le contrôle de son parcours musical dans un disque dans un concert enregistré pour la Maison de la poésie. Mode mineur, mais confiance artistique désormais majeure.
Babx arpente une veine plus naturelle, plus décharnée, moins dense musicalement (mais pas plus pauvre). Ascensions est le premier disque entièrement créatif de ce nouveau chemin, tout en simplicité, sur sa propre structure: celui de l’assurance d’avoir le droit d’exister comme auteur, comme musicien, mais aussi comme chanteur d’une chanson française révérencieuse, référencée un peu, quel que soit la forme musicale qu’il choisit; surtout s’il se décide finalement de s’absoudre de ses modèles poétiques et de toute question liée à sa légitimité à faire de la pop avec une économie d’arrangements.
Sur Ascensions, on sent Babx délivré. Délivré d’une voie formelle qui s’ouvrait à lui à la façon d’un Noir Désir (il en avait le timbre, et la forme engagée) branché pop et moins rock et avec laquelle le nouvel essai démontre qu’il entend prendre désormais une certaine distance. Il peut maintenant, il sait qu’il a le droit d’exister quel que soit son véhicule sonique.
Ascensions s’inscrit dans la veine des relectures poétiques de son Cristal automatique, oui, mais ici sans le poids du texte hyper connu et intouchable par nature, des auteurs qu’il y convoquait. Babx sait écrire, il le prouve une fois encore. Aux commandes d’un album sombre, mélange de faits d’actualité et de poésie noire qu’il assume comme sa signature artistique, Babx n’oublie pas ce qui fit sa patte: jongler poétiquement avec les idées/idéaux qui titillent l’auditeur. Ici avec l’actualité, dans un triptyque dédié à Omaya Al-Jbara icône de la petite ville d’Al-Alam en Irak qui fédéra autour d’elle les forces pour résister à l’Etat Islamique, avant d’y laisser la vie… Un triptyque d’une noirceur qui déborde sur le reste du disque comme s’il était lui-même une sorte d’écrin dédié à cette pièce d’actualité.
Noirceur assumée jusque dans le son, puisque en plus de s’être absout de la pop, Babx a décidé de ne se concentrer que sur l’essentiel musical : les enregistrements se limitent souvent à un chant accompagné d’un piano ou d’une seconde voix (discrète Dorothy Munyaneza). Et de quelques subtils arrangements à peine perceptibles, de renfort, comme autant de khôl passé sur les yeux de sa musique. L’octogénaire Archie Shepp est, à ce rôle, ultra efficace lui qui se contente de petites plaintes de saxo qui finissent de faire pleurer le disque.
Ascensions est une réussite. L’écriture se mêle parfaitement à la tradition poétique : impossible de ne pas percevoir la filiation entre Omaya et le dormeur du val de Rimbaud. Une réussite qui achève la mue de l’artiste : la musique réussit la gageure de n’apparaître que opportunément sur le disque pour renforcer la licence poétique. L’ambiance est plombante mais il rend presque romantique un bulletin d’actualité ou flotterait encore et toujours le drapeau d’un califat mortifère.
Cet album est beau. Et triste. Réussi, mais je me demande à quelle occasion j’aurai envie de me replonger dans un tel bain de larmes non contenues.
Denis Verloes
Babx – Ascensions
Label : Bison Bison / L’Autre Distribution
Sortie : 26 mai 2017