Blandine Rinkel parle de sa mère dans ce très beau roman social. Jamais de complaisance avec cette maman pas commune. Une étude sociologique percutante tout autant qu’un très touchant roman d’amour filial.
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Jeanine, la soixantaine, vit à Rezé, près de Nantes. Pas vraiment la ville. Pas vraiment la banlieue. Jeanine a un grand cœur. Un peu trop grand d’ailleurs. « Trop bonne, trop conne », souffle-t-elle parfois comme pour elle-même. Mais on ne se refait pas… Pour Jeanine, cela signifie quoi ? Recommencer ! Oui, croiser de nouveau un sans-abri et l’inviter chez elle. Devenir la psy non officielle (mais officiant chaque semaine) d’une brave dame croisée à la caisse d’une supérette… Et puis, un jour, se faire de nouveau avoir par l’opportunisme de certains, mais garder foi en l’Homme. Comme un sacerdoce ! Pourtant, Jeanine, il ne faut pas lui conter religion…
La force des mots de Blandine Rinkel est là ! Comme une envie de rencontrer Jeanine, en chair et en os, à la fin de cette lecture. Blandine, la fille, auteure de ce premier roman, parle de sa mère, Jeanine. Ni une biographie, encore moins une hagiographie, mais bien le plus bel hommage d’une enfant à sa maman. L’auteure écrit : « Elle ne pourrait jamais être l’égale de ses modèles, elle ne serait jamais qu’une transclasse plus ou moins cultivée, et à cette réalité elle s’était résignée. D’autre part, et sûrement est-ce lié, il y avait un penchant pour la liberté qu’offre l’abandon des prétentions. »
Blandine, la jeune femme, énerve (gentiment !) par son parcours bien trop brillant : elle a obtenu 20/20 à son bac de français ; un master de littérature ; à seulement 26 ans, ce premier roman est parfaitement réussi. Blandine, la jeune auteure, impressionne. Ce récit de vie en province n’est pas un roman de terroir comme il y en a tant. Blandine, la surdouée, mêle étude de cas sociologique, questionnement philosophique (« qu’est-ce qu’une vie réussie ? ») et roman d’apprentissage. Blandine raconte tout autant d’elle-même en parlant de cette maman atypique. Cette mère ouverte sur le monde qui accueille des migrants autour d’un verre de cidre… Sans revendication. De la politique citoyenne, surtout pas politicienne. La jeune romancière a certainement plus appris de la vie en regardant Jeanine évoluer qu’en écoutant les discours de bien-pensance à la radio. « On ne fait pas de littérature avec des bons ou des mauvais sentiments, mais avec des sentiments complexes », expliquait Blandine Rinkel, il y a peu dans une émission littéraire.
Et si elle arrive aujourd’hui à livrer ce vibrant hommage, ce n’est pas sans se remettre elle aussi en questions. Elle écrit : « Je lui ai reproché sa modestie naturelle quand, quittant la maison, j’ai compris le fonctionnement symbolique de ce monde : les enjeux des grandes écoles, le sens des positions géographiques (ce que représentait Rezé par rapport à Paris), la distinction induite par les marques (quelle valeur pour Vet’Affair, quelle autre pour Zara) […] Tout en continuant à ironiser sur ses chaussons soldés, j’admire désormais la discrète puissance de ma mère ; je lui suis reconnaissante de m’avoir donné le goût du cidre qu’on vide en silence… »
Delphine Blanchard
L’Abandon des prétentions
Blandine Rinkel
Éditions Fayard
248 pages, 18 €
Date de parution : janvier 2017