Une mer d’huile – Pascal Morin

Comme chaque année, Danielle reçoit son fils et son petit-fils dans sa maison de vacances, près de Bandol. La routine du trio estival est, pour la première fois, bousculée par Prisca, la jeune femme recrutée pour aider Danielle. Et si c’était enfin l’occasion de se dire les choses ?


(© Tina Merandon / Signatures)

Entre Bandol, Sanary-sur-Mer, Six-Fours-les-Plages, sur la côte varoise, Danielle passe tous ses étés depuis 45 ans dans la maison de vacances où la vie battait autrefois son plein. Aujourd’hui, veuve, elle reçoit son fils et son petit-fils. Les étés sont plus calmes. Mais les trois compères sont toujours là. Danielle se sent malgré tout débordée. “Par le temps qui passe et qui ne se rattrape guère. Par le temps perdu, qui ne se rattrape plus”, comme le chantait si bien Barbara. Danielle a alors l’idée, pour se décharger des tâches quotidiennes, de recruter une jeune femme, missionnée pour l’aider. Prisca remplit son rôle parfaitement. Un peu trop parfaitement…

Une mer d’huile s’ouvre comme un thriller. Qui est vraiment cette Prisca un peu trop parfaite ? À quoi joue cette jeune fille en fleurs, jugée pourtant par tous les protagonistes comme « ni vraiment jolie ni vilaine ». Mais Prisca semble avoir un magnétisme qui ne laisse personne indifférent. Surtout pas les deux personnages masculins de l’histoire. Pierre-Marie, le père, et Arthur, le fils ont un objectif commun : séduire Prisca. Même Danielle se pique de lui offrir un bijou, de l’emmener en balade fluviale sur la Méditerranée. Pascal Morin tisse un récit tendu. Nous laisse croire certaines choses, disséminant ici et là quelques indices… Il arrive à instiller une atmosphère étouffante, comme la chaleur du Var. Il excelle à donner de fausses pistes pour finalement nous mener, pas à pas, mot à mot, dans une réflexion psychologique voire métaphysique. Que faisons-nous sur Terre ? Quelle mission avons-nous ? Et si Prisca s’était fait manipuler par Danielle ? Cette dernière, spécialiste des neurosciences à la retraite, ne commet-elle pas une ultime expérience à travers ce cobaye vivant ? Prisca est-elle une cobaye consentante ?

Par son court et dense récit, Pascal Morin livre une fine analyse de la vie qui passe trop vite. Des liens familiaux qui se distendent si on ne prend pas assez le temps de les entretenir. “On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime, par peur de les gêner, qu’on les aime”, chante Louis Chédid. Voici la clé de ce roman à tiroirs. Danielle a fait entrer Prisca dans son cercle familial, habituellement très fermé, pour que quelque chose se passe. Elle-même ne sait pas très bien quoi. Comme un rat de laboratoire, elle n’a plus qu’à surveiller…Entre Arthur, jeune homme qui se cherche, et qui découvre la sexualité… Entre Pierre-Marie, père divorcé, psychanalyste qui analyse chacun de ses gestes… Danielle a de quoi observer !

Voici l’un des romans les plus perspicaces de la rentrée. Justesse dans l’écriture. Subtilité dans la psychologie des personnages. Finesse dans l’universalité des propos qui se mêle avec brio au contexte d’une société 2.0 qui peut laisser les néophytes sur le côté du chemin. Pascal Morin ne donne aucune leçon mais tire les leçons du passé virtuel récent. Bien loin du calme d’une mer d’huile, ce roman est bouillonnant comme un volcan en fusion !

Delphine Blanchard

Une mer d’huile
Pascal Morin
Date de parution : 16 août 2017
Éditions du Rouergue
128 pages, 13,80 €