C’est le sentiment qui demeure lorsque s’achève cette première et impressionnante saison de la série adaptée de La servante écarlate de Margaret Atwood : glaçante. Retour sur la grosse sensation de l’été, voire de l’année.
Réalisée par Bruce Miller, peu connu du milieu, et diffusée sur Hulu, arrivée récemment sur le marché juteux des plateformes de VOD, cette série dystopique se distingue très vite par la qualité de sa mise en scène et de son interprétation, auxquels s’ajoute une intrigue aussi fascinante que malaisante.
Nous sommes dès le départ embarqués, comme l’héroïne kidnappée, dans une société futuriste (mais pas si éloignée que ça…) où une forme de dictature s’est installée après des dérèglements climatiques et écologiques irréversibles. Ce nouvel univers, aux relents de technocratie, fait s’opposer des « commandeurs » et leurs familles, pratiquement tous devenus stériles, avec des « servantes » à leurs ordres, mais aussi à leur service pour procréer et ainsi faire perdurer les futures générations. D’où une ambiance particulièrement lourde, où lutte des classes, combat féministe sous-jacent pour disposer librement de son corps, et esclavagisme moderne s’entrechoquent. Et donnent lieu à des scènes incroyables, dérangeantes, et malheureusement inoubliables. Comme ces « moments de fécondité » où le couple (avec femme stérile) dispose de la servante dans un simulacre de viol de la jeune fille entourée de l’époux qui s’exécute et de l’épouse qui la tient, regard détourné, comme une participation inconsciente à cet enfantement forcé.
C’est une des nombreuses scènes difficiles qui renvoient directement à tous ces moments dans l’Histoire de luttes des femmes pour leurs droits, et qui semblent piétinés ou oubliés, à l’instar de ce qui peut réellement se passer en Europe ou aux USA aujourd’hui.
La noirceur du propos de Antwood dans son roman est ici magnifié par une véritable recherche esthétique. D’aucuns trouveront l’ensemble un peu long, ou trop « beau » pour asseoir tout ce que la série condamne. Et pourtant, la réussite de The Handmaid’s tale tient de cette lente mais sûre didactisation de la montée à l’extrême de cette société insupportable, avec les légers craquèlements qu’elle subit dans les derniers épisodes, laissant apparaître de possibles espoirs de renversement de situations pour la suite.
Cet ensemble, instable alors que la mise en scène semble faire croire en une rigueur inébranlable, est appuyé par une interprétation hors pair, notamment d’Elisabeth Moss (Mad Men, Top Of The Lake) en passe de devenir, à mon humble avis, la plus grande actrice TV actuelle. Elle irradie la série, héroïne à la fois battante et résignée, victime et actrice de sa propre révolution, visage doux ou animal, elle explose son registre déjà impressionnant dans ce rôle vraiment difficile. Impressionnante, comme l’est finalement cette première saison de The Handmaid’s tale, proposant au passage des ambitions presque plus fortes que celles des films sur grand écran, à savoir une adaptation grandiose, politique et esthétique, radicale et passionnante d’un des romans d’anticipation majeurs du XXème siècle.
Jean-françois Lahorgue
The Handmaid’s Tale
Série (US) de Bruce Miller, produite par Elisabeth Moss
Saison 1, 10 épisodes de 60 mn chacun
Avec Elisabeth Moss, Joseph Fiennes
Diffusion : Hulu (USA), OCS Max (France) en juin 2017