Les Sparks reviennent avec leur album le plus direct, le plus simplement rock depuis Propaganda. A part une poignée de supporters inconditionnels, pas grand monde ne les attendait en 2017. L’hippopotame secoue le cocotier… et on aime ça !
« Il y a un hippopotame dans ma piscine / Qu’est-ce qu’il fait là ? Je ne sais pas… / Il y a Titus Andronicus avec un tuba dans ma piscine / Il a plongé, c’est un excellent nageur… »
Qui donc d’autre que Sparks – c’est-à-dire les frères Mael (qui ont souvent été présentés comme les petits fils de Doris Day, ce qui n’est pas vrai, mais concourt à brouiller leur image…) – peuvent écrire et chanter ce genre de paroles, 43 années après avoir fait déferler sur la planète stupéfaite les cavalcades westerno-cryptiques de This Town ain’t Big enough for the Both Us (« les mammifères sont mon type d’animal préféré », n’est-ce pas ?) ? Oui, 43 ans plus tard, ils sont toujours là. Mieux, leur sens inouï de la mélodie qui décoiffe est resté inchangé, et à près de 70 ans, l’énergie tex-averyenne de leur musique reste épuisante.
S’il y a une différence avec les somptueux albums des années 2000, qui ont touché au génie (Li’l Beethoven) sans que ni le public ni la critique ne s’en soient émus, c’est que, entretemps, les Sparks ont fondé un groupe. FFS. Avec Franz Ferdinand. Un groupe éphémère mais brillant, un groupe qui leur a apporté une reconnaissance sur laquelle ils ne comptaient plus après tant de décennies de semi-anonymat. Du coup, Ron et Russell ont retrouvé l’envie d’ouvrir leur univers un tantinet confiné à d’autres musiciens, de permettre à leur musique de s’épanouir sur scène au-delà des « deux mains et une bouche » qui leur servait de slogan en 2013. Hippopotamus ressemble diablement à Propaganda (1974) dans son désir juvénile de conquérir à nouveau les cœurs de jeunes victimes innocentes : c’est donc un album commercial, ou du moins facile d’accès à un public qui grimacerait sans doute devant les abstractions crispantes de Li’l Beethoven. Un album qu’on peut jouer sur scène en espérant déclencher des ondulations de hanches, des débuts de pogo, des oscillations de têtes. Comme un « vrai groupe de rock », soit une chose que Sparks avaient été arrêté d’être depuis longtemps…
Bon, que les fidèles des aberrations drolatiques des Frères Mael ne se désespèrent pas pour autant : au-delà des envolées solennelles de guitares électriques, il reste suffisamment de bizarreries baroques (Hippopotamus, le titre, qui prolonge les expérimentations de Li’l Beethoven), de pitreries électro (Unaware) et de dérapages symphoniques (Life with the Macbeths) pour que nul ne puisse prétendre que Sparks ont outrageusement galvaudé leur singularité. Il y a aussi Leos Carax qui chante sur un air d’accordéon les joies d’être un auteur français. Il y a encore un hommage amusé mais sans doute sincère à Edith Piaf. Et une célébration du design des meubles IKEA. Impossible donc de soutenir honnêtement que les Frères Mael ont vendu leur âme pour conquérir un nouveau public !
Maintenant, Hippopotamus, avec toute son efficacité mélodique, avec toute sa pétulance retrouvée (même si la production de Toni Visconti nous manque forcément), sera-t-il un nouveau sommet de la discographie de Sparks ? Vieillira-t-il aussi noblement que Indiscreet ou Angst in My Pants ? Chanterons-nous toujours les enthousiasmants Bummer et So Tell Me, Mrs. Lincoln Aside from That, How Was the Play? dans quarante ans ? Ce n’est pas tout à fait certain : un peu trop long, souffrant de deux ou trois titres plus dispensables, de deux ou trois passages plus lourds, ce nouvel album devra surtout prouver sa pertinence sur scène.
Nous en reparlerons donc.
Eric Debarnot