Un spleen graphique et apocalyptique écrasé par le poids de son héritage, mais dont l’humilité et l’audace invite au respect.
Qu’attendre de la suite d’un chef d’œuvre comme Blade Runner ? Une question simple auquel il est difficile de donner une réponse tranchée. Une question qui hante la rédaction depuis le visionnage du nouveau-né de Denis Villeneuve (Sicario, Premier Contact…).
Commençons par une clarification : il n’y a aucune œuvre similaire dans le paysage cinématographique à gros budget (on parle de 200M de $) ces dernières années (le premier qui dit Ghost in the Shell sort immédiatement). La lenteur n’est pas une constante de notre monde moderne (mais l’était-elle à l’époque de Blade Runner ?). Il faut donc, peu importe notre avis, louer son format et son audace. Peu de films récents au budget conséquent peuvent se vanter d’errer dans un spleen lent et apocalyptique. Blade Runner 2049 constitue en ce sens une respiration.
On a envie de l’aimer ce Blade Runner, de le respecter autant qu’il nous respecte. Et plus nos songes plongent dans son univers et plus un dilemme se dessine : peut-on faire abstraction de l’œuvre originale dans l’analyse ? Parfois il faut trancher, et à la rédaction on pense que non, ce n’est pas rendre hommage au matériau d’origine.
Il faut admettre un premier fait, D. Villeneuve semble pleinement conscient du poids qui pèse sur lui. Le monde le scrute, prêt à l’assassiner au moindre faux pas. Il est la figure de K (Ryan Gosling), soumis aux tests psychotechniques un brin psychédéliques, dans l’impasse d’un enjeu perdu d’avance. Avec une défiance légitime, il joue avec respect des codes de l’univers culte et se l’approprie sur les marges. Tout fan de Blade Runner le remerciera pour cela. Le projet était voué à l’échec, et on assiste au petit miracle de voir une œuvre émergée, imparfaite, découvrant le monde avec maladresse mais pleine d’une envie de bien faire.
Cette envie transpire à travers tous les pores de la pellicule. La photographie est tout simplement splendide et constitue l’une des plus belles œuvres de ces dernières années. Le travail effectué par le chef opérateur Roger Deakins est sublime (et nous pesons le mot). Nous n’avons pu empêcher notre esprit d’avoir des résurgences Kubrikienne (de son magnifique 2001 l’Odyssée de l’espace notamment). En effet, la caméra, comme chez Kubrick, semble toujours à la recherche d’une symétrie parfaite. Elle souligne la dualité permanente qui scinde l’humanoïde et l’humain. En contrepartie, la fluidité des mouvements tend à rapprocher humanisme et technologie ; illustré dans une scène d’amour hypnotique où la bestialité d’antan laisse place à la sensorialité.
D. Villeneuve feinte la continuité du propos. L’enjeu n’est plus de débattre du caractère humain ou non de Deckard (Harrison Ford), mais de suivre un androïde qui apprend à ses dépens ce que signifie « être humain ». L’errance est donc complète dans cette ville désincarnée au gris délavé. Le monde n’est plus qu’un tas de cendres ocre où les statues majestueuses d’un temps révolu trônent sur les vestiges d’un rêve oublié.
Tout n’est qu’écho lointain de notre contemporanéité. L’opposition s’immisce sur tous les aspects du métrage à commencer par l’éclairage qui bascule toujours de l’ombre à la lumière et dont l’espace quasi-cathardique du puissant Wallace (Jared Leto) en est un exemple criant. Il y a également ce rapport à la matière dont le caractère brut (champ désertique de sable, de béton ou d’eau) contraste avec la géométrie abstraite des espaces. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une des rares scènes d’action que l’on retrouve cette quintessence, dans un casino bloqué entre un passé défunt et un avenir incertain ; représentation scénique des affres de nos héros.
Nous sommes constamment ramenés à la quête métaphysique qui émane des androïdes. Une valse perpétuelle forgeant la coexistence des opposés. De tout ceci nous remercions D. Villeneuve pour son humilité face à ce gargantuesque défi qui était de donner suite à Blade Runner.
Malheureusement, au regard de l’intégralité de l’œuvre, D. Villeneuve tout comme son double K se voit rattraper par ses propres démons. La grandiloquence de l’image ne suffit pas à remplir une première heure où le vide scénaristique s’invite. Le personnage de Luv (Sylvia Hoeks) est linéaire et ennuyeux. On se surprend à peine à regretter la composition torturée et ô combien magnifique de Rutger Hauer. La musique, bien loin de la délicatesse des scores de Vangelis, est une déception. Néanmoins, Hanz Zimmer bien conscient qu’il ne peut faire le poids joue de l’hommage discret et de basses graveleuses pour mieux laisser place au silence salvateur. Enfin, qu’en est-il de ces explications inutiles, surlignage scénaristique, maladie de notre époque qui ne supporte pas de laisser place à l’interprétation (élément pourtant fondateur du culte).
Un tableau contrasté à l’image de sa peinture, mais dont la vision fascine autant qu’elle questionne sa légitimité. En définitif, Blade Runner 2049 est le miroir de « l’arbre mort de la vie ». Relique d’un autre temps décédé dans un âge oublié, mais qui cache aux creux de ses racines quelques réminiscences fantasmatiques.
Mathieu Le Bihan
Blade Runner 2049
Film américain réalisé par Denis villeneuve
Avec Ryan gosling, Harrison Ford, Jared Leto…
Genre : Science-fiction, Thriller
Durée : 2h44
Date de sortie : 4 septembre 2017