Entre atmosphères changeantes et climats bipolaires, Girls In Hawaii chante dans ce nouvel album la renaissance, l’instant d’après, la vie après le drame.
On avait quitté les belges de Girls In Hawaii avec Everest, un album arrache-cœur en hommage à Denis Wielemans, batteur du groupe disparu dramatiquement dans un accident de voiture. Un disque qui nous interrogeait sur cette capacité à survivre à un tel drame, comment l’on revient à la vie. Avec Nocturne, c’est une déclaration d’amour à la pulsation et à l’énergie que nous présente le groupe.
Comment se reconstruit-on après un drame, une séparation ou un deuil ? Nombre d’artistes ont abordé cette question cruciale. Nombre d’entre eux cherchaient surtout une forme d’échappatoire à ce désespoir rampant qui envahissait leurs jours et leurs nuits.
On se souviendra bien sûr du bouleversant dernier disque de The Apartments ou encore de Sufjan Stevens. On n’oubliera pas de sitôt Everest, l’avant-dernier disque de Girls In Hawaii qui affrontait avec pudeur ce rapport-là à la reconstruction de soi. Everest restera un disque à part dans la discographie des belges, c’est dire donc si l’on attendait avec impatience le nouveau chapitre d’une histoire. Justement car Everest était un sommet, Nocturne ne peut qu’être un disque de transition avant un nouveau départ.
On viendra chercher ici ces mêmes balades entre atmosphères changeantes et climats bipolaires, jamais très éloignés de Grandaddy ou d’une Pop sous acides doux. Certains jugeront Nocturne parfois à la limite de l’anecdote, d’autres y trouveront de nouvelles pistes en germes, y entendront des sonorités lorgnant du côté d’une envie de danse. Mais comme tout est toujours question de trompe l’œil chez nos amis belges, on ne pourra croire les yeux fermés à une allégation sans discussion à la Magritte genre « Ceci est une chanson Pop » car ce n’est jamais aussi simple avec Girls In Hawaii.
Nocturne sonne surtout comme un retour à la vie, la marche entamée d’un être encore groggy, les muscles endoloris et les larmes au bord des mots, cette lumière qu’il faut laisser à distance. L’espoir que l’on aimerait voir venir. Girls In Hawaii chante dans Guinea Pig cet instant, ce moment que l’on n’ose pas accepter, dont on ne pense pas être digne. Cet instant où malgré nous, la vie revient, continue, se poursuit, les sourires qui reviennent et l’oubli et la culpabilité en fidèles nécessités.
Pourtant, jamais Nocturne n’est plombé par le chagrin ou l’amertume. On y chant l’apaisement comme dans Cyclo et cette voix comme échappée d’un titre de Thom Yorke. Ce qui rend d’ailleurs si bouleversants les disques des Belges, c’est leur évidente sincérité, leur simplicité comme une ligne claire sonore. Ils distillent une Pop pleine de clins d’œil aux Eighties. Ils clament une mélancolie soyeuse, de celle que l’on connaît tous. Ils ont aussi cette intelligence de la construction d’un disque, cet enchaînement entre Indifference et Overrated comme un parfait contraste et un bel exemple de mise en valeur. Blue Shape et son lent échafaudage en mode New Order période Power Corruption And Lies tisse une toile épaisse et chaleureuse quand Walk, premier single sorti, sonne comme un One Hit Wonder.
Plutôt que de vous proposer un énième name dropping éreintant qui ne sert finalement pas à grand-chose, on pourrait dire que les chansons que proposent Lionel Van Cauwenberge et Antoine Wielemans ne ressemblent finalement qu’à eux, leurs parcours, les petites défaites et les grands drames. A l’écoute de Monkey, on ne saura trop situer sur une carte du monde Pop leurs complaintes, lorgnant du côté de l’Amérique d’un Jason Lytle mais aussi en proche voisinage des compatriotes My Little Cheap Dictaphone.
D’ailleurs, on l’aime cette scène belge qui ressemble tant à l’âme du plat pays, à la fois transgressive et drôle, humble et généreuse, si loin des travers d’une certaine scène française.
Chez Girls In Hawaii, il y a toujours une volonté de contradiction, un élan, une forme d’ampleur emprunte de modestie comme dans Willow Grove toute en tension qui ne dit jamais vraiment son nom. Up On The Hill, lui ressemble à s’y méprendre à ce à quoi pourraient ressembler des points de suspension d’un point de vue musical. Nocturne ou la modernisation d’un Fado, d’une Saudade.
Avec Nocturne, Girls In Hawaii chante la renaissance, l’instant d’après, la vie après le drame, la pudeur d’un sourire que l’on ose prononcer, l’affirmation d’un devenir possible, la certitude que la vie n’est plus tout à fait la même mais qu’elle est et reste la vie.
Greg Bod
Girls In Hawaii – Nocturne
Label : [PIAS] le label
Sortie le : 29 septembre 2017