Après plus de 40 ans de carrière, le trio hollandais Nits nous offre avec Angst un album envoûtant, d’une beauté vertigineuse. Incontestablement une de nos plus belles expériences musicales de 2017.
Nous sommes en France, comme dans la plupart des pays européens, un petit contingent de fidèles aux Nits, que nous considérons généralement comme l’une des meilleures choses qui nous soient arrivées dans notre vie musicale. Et cela dure grosso modo depuis 1983, lorsque les Bataves pop séduisirent les français avec leur mini-hit Nescio, avant de replonger dans un semi-anonymat, du moins en termes de popularité commerciale. Il y eut de nombreux hauts, comme les albums In the Dutch Mountains, Ting ou dA dA dA, qui leur valurent le surnom de « secret le mieux gardé de la pop music », même si c’était surtout sur scène que Henk Hofstede (le chanteur, guitariste et principal compositeur), Rob Kloet (le batteur-percussionniste virtuose), et Robert Jan Stips (aux claviers fantasques) nous ont offerts nos plus beaux moments. Depuis quelques années, nous nous étions résignés à voir le groupe stagner dans une veine mélodique finalement exsangue et des ambiances de plus en plus éthérées, pour tout dire plus très stimulantes.
C’est donc un véritable choc que l’on ressent en plongeant dans ce Angst, un concept-album exigeant, radicalement différent de ce que ce groupe, pourtant extraordinairement versatile, a proposé jusqu’alors, et surtout offrant une expérience émotionnelle intense malgré – voire à cause de – sa subtilité : les Nits, envers et contre toute attente, sont à nouveau au sommet de leur forme !
Le sujet de Angst, du moins pour ce que l’on en saisit, car il n’est jamais question ici d’une narration structurée ni de déclarations péremptoires, est l’héritage politique et émotionnel de la Hollande et de l’Europe en général post-seconde guerre mondiale. Que nous reste-t-il, s’interroge Henk, des souvenirs de nos parents pris dans la tourmente de l’occupation nazie puis de la libération ? N’avons-nous pas déjà tout oublié, nous condamnant à un avenir proche de nouveaux drames ? Les textes procèdent par légères touches impressionnistes, souvent énigmatiques, mais dont la pertinence est indiscutable, envoûtant l’auditeur et créant des images mentales dont il ne se débarrassera pas facilement (Radio Orange, Lits-Jumeaux).
Musicalement, l’évolution est impressionnante, puisque la guitare est complètement abandonnée, au profit du dulcimer et des claviers, et que Angst baigne dans une atmosphère électronique ouatée dont l’originalité et l’audace peuvent évoquer la démarche expérimentale qui avait donné naissance à un Ting, mais dans un registre différent. Si l’on ajoute que la voix de Henk n’a jamais été aussi bouleversée et bouleversante (on peut imaginer que les souvenirs évoqués ici sont les siens, ou ceux de sa famille, mais aussi que l’angoisse ressentie est sienne), le résultat est à proprement parler hallucinatoire. L’album s’écoute d’une traite, comme un voyage intérieur aussi surprenant – des touches jazz, des sonorités post-rock, un collage de bruits proche des tentatives de la musique concrète – qu’immédiatement addictif.
Bien sûr, il reste çà et là des traces de la vieille aisance mélodique du trio, sur les séduisants Flowershop Forget-Me-Not et Pockets of Rain, mais Angst montre globalement un groupe qui a dépassé avec les années le simple plaisir de la séduction pop, pour atteindre une vérité et une émotion nouvelles, peut-être à ce que l’on peut qualifier de « niveau supérieur ». Et si la seconde moitié de l’album souffre de deux ou trois morceaux plus faibles, il se conclut de manière magnifique par un Zündapp Nach Oberheim qui nous permettra d’affirmer en toute sécurité que les Nits viennent d’ajouter à leur déjà riche discographie une nouvelle merveille.
Eric Debarnot