Surprise pour la remise du Goncourt 2017 : C’est Eric Vuillard, auteur réputé pour ses écrits en prise directe avec des événements historiques, qui remporte le prestigieux prix littéraire…récompensant généralement des fictions.
Son livre, nommé « récit » sur sa couverture, n’est effectivement pas un roman, ni une fiction. Première entorse à la règle officieusement établie. Seconde entorse : le livre est paru début 2017, et ne fait donc pas partie, comme cela arrive tout le temps, de la rentrée littéraire de septembre dernier. C’est donc cette double surprise qui a questionné les médias le jour des attributions de prix, mais qu’en est-il de l’oeuvre elle-même ?
De manière quasi-synthétique (moins de 150 pages), Eric Vuillard expose avec précision et pas mal d’ironie triste, les petites raisons qui ont amené le nazisme au pouvoir et dans l’échiquier historique de la deuxième Guerre Mondiale. En relatant quatre épisodes historiques, à la limite des anecdotes chères à un Pierre Bellemarre qui se serait fort documenté, L’ordre du jour témoigne des conséquences dramatiques qui découlent de faits anodins, discussions privées teintées de lâcheté, de malentendus larvés. Ou quand les petites histoires d’ego ou de rancoeurs personnelles façonnent la grande (et tragique) Histoire.
Le lecteur suit d’emblée une réunion en 1933 entre une vingtaine de grands industriels (d’entreprises qui existent encore aujourd’hui) et le nouveau chancelier allemand Adolf Hitler. Celui-ci aura, à la fin de l’entrevue-repas, convaincu les convives de financer un parti amené à redresser une Allemagne moribonde, un parti national-socialiste encore fragile mais qui ne demande qu’à exister sur la scène politique nationale. Affaire conclue, on se ressert du vin. Sans transition, on passera à la rencontre toute en tension et sous-entendus minables entre Hitler et le chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg en 1938. Echanges cordiaux, menaces sourdes, Anschluss en vue… et c’est ainsi, de rencontres en dîners, de non-dits et éclats polis, de bassesses en résignations, que l’Allemagne nazie deviendra cette nation ayant participé aux heures les plus sombres du XXe siècle. A cause d’hommes trop veuls ou trop lâches.
Avec un style à la fois extrêmement précis et désincarné, parsemé d’envolées subjectives et sarcastiques, l’écrivain étonne par les propos qu’il couche sur papier : les coulisses des grands tournants de l’Histoire, méconnus de beaucoup, s’éclairent enfin, avec effroi et incompréhension. Mais si L’ordre du jour reste important, presque nécessaire tant le thème du nazisme, même rebattu, mérite encore et toujours que l’on s’y attarde, il s’avère qu’il ne convient pas pour ce prix littéraire. Où est la fiction ? Où est l’intérêt et l’originalité de l’écriture de Vuillard quand le Goncourt s’attache souvent à récompenser des oeuvres littéraires passionnantes ou qui creusent encore les écritures ?
L’ordre du jour n’est pas un roman. C’est sa faiblesse dans le contexte, comme l’impression qu’un Max Gallo avec une plume plus « romanesque » a été récompensé. Sa force, c’est sa concision, sa teneur, l’évocation de l’Histoire et ses petites cachotteries. A chacun d’y trouver son compte.
Jean-françois Lahorgue
L’Ordre du jour
Roman français de Eric Vuillard
Actes Sud, 160 pages, 16€ environ
Date de parution : avril 2017