Le 32e album de KIM touche à tous les styles. Sans frontière ni barrière musicale, il est ouvert sur le Monde, invite les gens à se rencontrer et à partager. Un album optimiste pour ce chanteur musicien toujours aussi bavard. Rencontre.
On ne va raconter d’histoire, Kim Giani c’est un peu le chouchou de la maison, voire carrément l’ami de la famille quand on accueille ses podcasts vidéo dans lesquels il évoque en une minute chrono un album d’hier ou aujourd’hui.
On aime KIM pour son hyperactivité musicale, pour son humour, pour sa fantaisie, sa simplicité et pour son insatiable envie de musique qui rejaillit dans les nombreux projets auxquels il contribue.
Alors, forcément, quand il sort un nouvel album, on l’appréhende un peu différemment tout en essayant bien sûr de garder un esprit critique. Mais comme on aime tout ce qu’il fait ou presque, la critique, hein bon…
Avec Blues de Geek Manifesto, le natif de Cannes propose un album patchwork dans lequel on trouvera des chansons chantées en anglais où se mêlent différents genres (de la pop au reggae en passant par le disco et le rock). C’est frais, c’est spontané, c’est festif, c’est tout KIM !
A l’occasion de cette sortie, on lui a posé quelques questions…
Pour commencer, quelle est la signification de Blues de Geek Manifesto ?
Le titre de mon disque est « Blues de Geek Manifesto ». Il y’a plusieurs raisons à cela. Il date du temps où j’ai du définir sur une page internet le style musical que je jouais. Comme je change très souvent de couleur musicale, j’ai d’abord songé à écrire « pop », mais le terme me semblait inoffensif et plat. Puis je me suis dit que je jouais du blues, tout simplement. Je me confie dans mes paroles, je pratique beaucoup les gammes pentatoniques, oui, je joue du blues. A tel point que mon disque de 2015 chez Midnight Special Records est un disque de blues. Mais le terme n’est pas précis pour les gens que je rencontre. ils ne sont pas d’accord avec moi quand je définis mes chansons comme étant blues. Il y a une dimension de recherche et de bricolage que les adeptes d’ordinateurs et de synthétiseurs entendent dans mes disques…. La culture geek en somme.
Je me suis alors dit que je jouais du blues de geek. Un terme que j’emploierais volontiers pour Hot Chip, d’ailleurs, et aussi pour Electric Light Orchestra quand ils jouent « yours truely » ou pour le film « Her » ou le court métrage « I’m here ». Une mélancolie moderne, industrielle et électronique, avec des gammes bluesy. Il y’a aussi le « de » dans « Blues de Geek Manifesto » qui renvoie au « Regatta de Blanc » de Police. Un clin d’oeil a la culture française, intellectuelle et littéraire, mais qui, chez Police, me renvoie à une touche de reggae. J’ai souvent placé des rythmes reggae dans mes disques. Dans ce nouvel album il y’a un reggae, un rocksteady et un ska, métissé de pop, comme quand Police métissaient ces musiques dans le punk. Ce « de » renvoie a ces gourmandises du punk pour la musique jamaïcaine. Car je souhaitais un album qui tende vers la world music et le polyluinguisme. Au final je chante anglais avec un zest d’italien, et le disque est plus pop que world, mais c’est un début. Un virage que je souhaite. Et puis il y’a le mot « Manifesto » qui renvoie a un manifeste politique. Car ce sentiment, le blues de geek, n’est pas qu’un qualificatif auto proclamé pour le style de mes chansons, il est aussi une mélancolie que les gens, je pense, ressentent dans leurs solitudes électroniques. Ce serait alors le manifeste de gens qui souhaitent se rencontrer, à travers les frontières, en se mélangeant, en communiquant via internet, pour établir un nouveau monde brassé de moult cultures. L’album en entier parle de cela. Il a été réalisé durant un climat politique tendu, récemment, alors que j’écrivais à nouveau des chansons anarchistes, comme dans les années 2000. Voila ce qu’est le « Blues de Geek Manifesto » en plus d’être un titre en trois langues : l’anglais, le français, l’italien.
C’est ton 32e album, comment arrives-tu à gérer autant de projets en même temps, entre tes collaborations en tant que musicien, tes spectacles, tes dessins, tes projets annexes thématiques ou décalés
comme Craignos et tout le reste ?
Gérer tous mes projets à la fois se passe simplement. J’ai un agenda bien propre. Et chaque projet sert aux autres, par vase communiquant. Il n’y a pas de frontières rigides entre eux tous.
Sur tes albums « pop » comme Dreamarama, Radio Lee Doo, tu chantes toujours en anglais comme si tu gardais le français pour les trucs rigolos comme Jean-Pierre Fromage et toute la bande des Craignos. Pourquoi ce choix ?
J’aime que la pop soit chantée en langue internationale. De plus l’anglais est une langue photographique avec des mots courts. Le français est plus narratif et cinématographique. Souvent, dans mes chansons, comme elles sont mélancoliques, j’ai besoin, d’une langue labiale avec des photographies, des sous-textes, et l’anglais est parfait pour cela. En France, alors que dans les salons se pratiquait l’esprit, les anglais, eux, inventaient l’humour.
J’aime cette distance bien anglaise dans texte. J’aime aussi la neutralité de genre. Dans ma chanson « ad libitum melo » je chante « a place for someone I know, the good one ». De qui je parle ? De quoi je parle ? De la place ou de la personne ? C’est à toi de choisir. En français je me serais fait démasquer par le mot « quelqu’un » ou « quelqu’une ». Mais ma réponse est incomplète. Car j’ai récemment sorti un single en italien, et un autre en arabe, co écrits avec Youssef Abado. C’est formidable de voir que les langues influencent aussi les mélodies et nos perceptions. C’est pour ça que je souhaite désormais chanter en plusieurs langues. Et le français en fera partie quand je saurai le chanter avec des incarnations personnelles. Comme tu l’as dit, je chante et écris en français pour mes groupes sketchs de l’écurie Craignos, comme Jean-Pierre Fromage, Béton Plastic ou Les Clopes. Pour le moment, incarner et interpréter un personnage de comédie me plait, me fait rire. C’est d’ailleurs mes expériences humoristiques avec Craignos qui m’ont donné envie de tenter le théâtre et la comédie. Pour autant je prends au sérieux mes pastiches. Je me moque exclusivement de musiciens que je respecte et que j’admire, même quand je n’aime pas obligatoirement leur musique. Je suis fan de Léo Ferré pourtant je me moque de lui dans le personnage de Charles Ezeimer. Il faut admirer ou respecter pour que ce soit émouvant et ridicule a la fois. En vérité, Charles Ezeimer se moque de moi qui ne suis pas capable du lâcher prise de Léo Ferré. Tout ceci renvoie au sujet de l’interprétation qui me tient a cœur. Il est hors de question, pour moi, de bâcler cette discipline.
Je suis aussi interprète de mes chansons et si je les interprète sans aucune incarnation, j’aime autant qu’elles trouvent une voix pour les faire vivre. Pour le moment, en français, je n’arrive à interpréter vocalement que des chansons aux traits comiques ou caricaturaux. J’écris des chansons en français avec Cléa Vincent, qui, dans ma bouche, ne prennent pas vie. Pareil pour Carmen Maria Vega, qui interprète superbement les chansons que j’ai écrites pour elle. Dans ma bouche ça ne vit pas car les textes y sont plus introspectifs. Parfois je chante en duo avec Cléa Vincent des chansons à nous, et je ne ressens pas encore le texte. Je m’entraîne et je vais trouver l’angle, un jour.
Sur « destination tropicale » de Cléa Vincent, écrite a trois avec Raphael Thyss et Cléa, nous chantons en duo, elle et moi. Et je sentais des choses. Mais sur « soulevant » de Clea Vincent, écrite ensemble, ma voix ne décolle pas. Ça viendra. J’ai eu les mêmes soucis en anglais dans les années 90. Je pouvais chuchoter ou hurler, mais entre les deux, je n’arrivais pas a chanter. J’ai appris a garnir ma palette d’interprétation anglophone du mieux que j’ai pu. En français, je suis en train de m’entrainer. Comme il m’est impossible de livrer quelque chose de musical non ressenti à 100 pour 100, je mets ces envies francophones dans un tiroir, avec plein d’autres, comme des envies d’orchestres, de musiques savantes ou autres. Enfin, j’adore l’anglais. Mes disques pop sont anglophones, oui. Avec des ressorts comiques tout de même, dans les sons, par exemple. Mais si on souhaite écouter mes chansons pop avec du français chantée en voix neutre, c’est possible avec le répertoire de Elles Sont Imparfaites.
Sur ce dernier album, tu mélanges les genres… comme c’est souvent le cas d’ailleurs chez toi. On y entend des influences disco, orientales, pop avec des clin d’œil aux Beatles, du reggae, rocksteady beat, et même un bon vieux slow digne de la boum. Il y a un côté universel dans ta musique, une démarche qui rappelle les années 80 quand la World music s’invitait dans la pop. C’est une envie de ne pas te limiter à un style en particulier, de varier les plaisirs ?
C’est avant tout une envie de laisser faire ce que la musique me dit de faire quand elle s’invite dans ma tête. Si elle me dit que je dois jouer reggae, alors je m’exécute. Si elle me dit que je dois jouer d’un instrument que je ne connais pas, je l’apprends. La musique est au dessus de tout. C’est ce qu’il y’a de plus important sur terre. Elle est partout. Il faut simplement l’écouter. Dans ce disque, il fallait que je place des couleurs orientales et jamaïcaines, dans un décorum européen pop, oui. C’est la musique qui décide.
Tu joues d’une quinzaine d’instruments encore sur ce disque. Comment procèdes-tu pour l’enregistrement… est-ce que tu procèdes toujours de la même manière ? Tu as une « recette » ?
j’aime jouer d’un maximum d’instruments dans mes disques pour garantir à l’auditeur une singularité maximale. Cela étant parfois j’aime qu’on entende aussi la rencontre avec mes amis musiciens. Blues de Geek Manifesto a été enregistré en étroite collaboration avec Marius Duflot et Victor Peynichou de Midnight Special Records. Cléa Vincent, Rémi Foucard, Valérie Hernandez, Youssef Abado, Pilou, Olivier Ikeda ont également joué sur ce disque. Valérie et Youssef en plus aux paroles d’une chanson. J’aime autant qu’on sente le laboratoire que la salle conviviale de répétition. Et j’aime jamer. Grace a Marius et Victor, qui sont des fans de rap et de blues, et qui ont réalisé ce disque, je pense que nous avons tenté de faire un album qui mélange les deux cuisines.
On imagine que tu as pas mal de projets pour les semaines et les mois à venir, allez raconte !
Les prochains mois je vais jouer mes chansons, accompagner Carmen Maria Vega, jouer la comédie dans « Revers », jouer le spectacle « planète fanfare », mais aussi préparer des surprises en relation avec « blues de geek manifesto ». Surprises !
Interview réalisé par Benoit RICHARD
KIM – Blues de Geek Manifesto
Midnight Special Records – paru le 10 novembre 2017