Le Festival Invisible 12e édition, une grande édition pleine de belles rencontres qui rendent ce qui est invisible toujours plus indispensable. Résumé de 4 jours de créativité absolue, d’inventivité et de curiosité.
L’invisible, c’est toujours le plus important, l’essentiel. Celui qui se rappelle à vous, presque malgré vous. L’invisible a sa saison, son mois, ses lieux.
A Brest, la saison de l’invisible, c’est novembre… On y croise alors ces êtres des marges que l’on appelle des artistes, ces hommes et ces femmes qui se confrontent à eux-mêmes et à leurs obsessions sonores.
Des artistes qui considèrent encore l’expérimentation comme une forme de jeu, comme un enfant qui joue dans un pré.
L’invisible, c’est un peu cela. Des rencontres avec des êtres incertains. Un refus de maîtriser l’imperfection, de laisser l’émotion prendre sens.
On se rappellera encore longtemps la joute verbalo-poétique sur fond d’éthylisme modéré des sieurs Arnaud Le Gouëfflec, écrivain-chanteur-scénariste de métier et de passion mais aussi co-organisateur du Festival Invisible et Hervé Elleouet, poète du côté dans un beau lieu d’échange à Brest, Le Mouton à Cinq Pattes sur cette place si singulière qu’est la place Guerin.
Il en est ainsi de certains concerts comme ceux d’OoTi où l’on a cette étrange impression d’être réunis avec de bons amis autour d’une table. Avec Thomas Lucas alias John Trap, elle aura livré un set aux imperfections touchantes et une orchestration très différente de son dernier album, Itoo car volontairement dépouillée pour la scène. L’invisible, c’est se déplacer dans l’espace, discrètement, lentement se désaxer et se retrouver déjà à demain. Demain qui est hier.
Seconde soirée à Passerelle Centre d’art contemporain. Autre lieu, autre ambiance, autre public aussi.
Les balances des artistes se préparent tranquillement comme en trompe l’œil pendant que Maëlle Le Gouëfflec secondée de sa stagiaire Jade s’affaire, attentive à tous les détails, là, la petite soupière sans couvercle, là, le questionnement plus artistique de tel ou tel artiste.
On croise dans les couloirs l’impeccable Borja Flames accompagné de sa moitié Marion Cousin. Tout à sa préparation de son concert du soir, jaugeant l’acoustique de l’endroit, se familiarisant avec les lieux.
Anthony Laguerre de Filiamotsa gère les derniers petits détails avec le guitariste Eric Thomas. On aperçoit une installation avec une bande audio, des petites choses qui titillent la curiosité. Mais notre attention est très vite débordée et déplacée par la longue montée sonique de la guitare de Julien Desprez. On a bien entendu dire qu’une danseuse l’accompagnait sur scène dans une improvisation totale. On aperçoit Caroline Desnos (la danseuse) en train d’esquisser quelques pas…
Le soir venu, le public s’installe dans ce grand hall aux teintes blanches. Borja Flames et son groupe entrent en scène, pendant 45 minutes, ils vont hésiter entre Moondog, Captain Beefheart et la Cumbia pour un concert coloré et bariolé.On se rappellera encore longtemps cette longue interview quelques heures plus tard dans un petit atelier de menuiserie avec de la poussière de bois qui vient s’accrocher au long costume noir de l’espagnol. Une musique chaleureuse à l’image du monsieur.
La lumière s’éteint dans le grand hall et se tamise de bleu. A gauche de la scène, Caroline Desnos comme figée, attend de reprendre vie. Julien Desprez s’assied sur une petite chaise de bois. Un long Drone au bord du silence file en cercles de plus en plus grands, de plus en plus habités, de boucle en boucle. A mi chemin de La Monte Young et du Valtari de Sigur Ros, la musique de Julien Desprez est sensuelle jusque dans sa gestuelle à la guitare. Parfois caressante, parfois martelante, sa main est cyclothymique et bipolaire. Une belle proposition de l’association brestoise Penn Ar Jazz
Dans l’arrière-boutique, on retrouve Anthony Laguerre et Eric Thomas. Ramassée sur une scène minuscule, leur installation semble fragile. Anthony de Filiamotsa, d’ailleurs, explique au public que les longues bandes qui courent d’une installation jusqu’à son Nagra sont fragiles et réclament mille précautions.On entend dans la musique des deux réunis quelque chose qui vient de l’enfance, entre murmures de gamins, bruits indistincts. Jamais le silence n’a aussi bien raconté une histoire.
Sur le papier ou vu de l’extérieur, cette soirée pouvait laisser sceptique. En effet mêler la cumbia psychédélique de Borja Flames aux drones de Julien Desprez ou encore aux comptines accidentées d’Eric Thomas et Anthony Laguerre n’était pas chose gagnée. Il faut bien reconnaître que le pari est gagné avec ce sens réel d’une chronologie, d’une forme de scénographie de l’espace-temps pour une série de concerts.
Vendredi, 3e soirée, à La Carène, Brest, la SMAC à la programmation inventive.
The place to be, on y croise le meilleur de la Pop française du moment, un vétéran de la scène Post Punk, ami de Ian Curtis, des punks 2.0 déglinguos, la pop à la façon Jonathan Richman d’un ex Herman Dune…
4 concerts comme 4 propositions diablement différentes. L’invisible comme synonyme d’incohérence.
Rémi Parson dans le club ouvre la soirée avec un set évoluant à vue entre New Order et The Cure mais aussi Etienne Daho et Daniel Darc. Un concert efficace mais manquant peut-être un peu d’émotion.
Stanley Brinks and the Wave Pictures tirent le fil d’une autre dimension de la Pop, la leur est américaine. Classe absolue, décontraction et juste distance emportent tout.
On peut bien qualifier de culte le groupe qui joue ce soir-là dans le club bondé de La Carène, Brest. Culte, terme largement galvaudé en général mais largement mérité ici pour Gang Of Four avec leur guitariste Andy Gill, seul survivant de la forme originelle du collectif.
Tout à fait le genre de concert clivant, d’un côté le public puriste, de l’autre les autres. D’un côté, ceux qui attendent un son intact, celui des origines. De l’autre, ceux qui ne connaissent pas et qui n’entendent dans tout cela qu’une musique référencée et vieillissante. Pourtant, l’énergie est là, une basse qui forge le son du groupe, la présence scénique d’un chanteur à la voix théâtralisante. Un concert qui divise donc le public. On se souviendra d’Andy Gill, membre fondateur du groupe qui nous rejoint en plateau pour une interview. Il devait rester quelques minutes, il s’attardera longuement avec nous, boira un verre (peut-être deux), se prêtera au jeu des photos avec une gentillesse absolue, dont quelques shoots avec le photographe Jérôme Sevrette présent durant le festival.
Le Villejuif Underground prend tout le monde à contre-pied avec un concert très maîtrisé. On les a croisés à plusieurs reprises dans la soirée, on pourrait les comparer à des jeunes chiens fous, rigolards et s’amusant avec l’absurde. On sera donc surpris de les trouver aussi impeccables sur scène. On rit encore de voir Nathan Roche, leur chanteur, descendre de scène à toute vitesse pour aller se chercher une bière au bar et repartir aussi sec comme si de rien n’était. Nathan Roche, le plus brestois des australiens !
On arrive déjà au 4ème jour, samedi et toujours La Carène. Samedi, le jour de tous les contrastes.
Samedi mais aussi un concert à Bad Seeds, l’indispensable magasin de disques tenu par Reno et Christophe (nouvellement Boss du label Music From The Masses mais on reparle bientôt ici) avec Chevalrex ici accompagné de Mocke Depret. Malgré et surtout grâce à des imperfections techniques, les deux proposent une musique chaleureuse, exigeante et enfantine. Pas de morceau inédit mais une vraie chaleur. Assurément un des grands moments du Festival qui stimulent encore plus notre impatience à l’annonce de la sortie du nouvel album de Remy Poncet en février prochain.
On n’est pas prêt d’oublier le long échange avec MockeDepret où le monsieur pèse chacun de ses mots avec élégance et modestie. On y parle de son nouveau disque avec Midget, Ferme tes cieux, dont il est très fier et il a bien raison car c’est sans doute l’un des disques les plus ambitieux de cette année.
Celui de l’émotion avec Chansons Carton, le projet d’Arnaud Le Gouëfflec et Thomas Lucas avec le CCAS Brest. Celui de la rigolade quand on apprend que les allemands de Camera se sont plantés de train et sont peu de temps avant leur concert à Saint-Malo.
Émotion donc avec ce concert de Chansons Carton, cet atelier lancé par Arnaud Le Gouëfflec et Thomas Lucas avec des personnes sélectionnées par le CCAS.
Vies cabossées mais vies jamais plombées, ils proposent un concert entre Reggae, Rap, musique africaine et Cold Wave. On se rappellera encore longtemps de ce texte de Karim chanté par Arnaud Le Gouëfflec. Karim qui n’a pu venir chanter ses mots sur scène.
Les Camera arrivent vers 20h00 à la Gare de Brest. On assiste donc à leurs balances qui se font un peu dans l’urgence.Mais la soirée commence vraiment avec G.w. Sok et Action Beat. Déjà le dispositif scénique est important, deux batteries, un mur du son et un Rock Noise agressif et poétique.
On sent une impatience monter plus l’heure du concert des Camera approche. Encore un concert clivant, d’un côté, ceux qui sont super enthousiastes (la majorité) et ceux qui trouvent dans la musique des berlinois un caractère bien trop référencé voir figé à leur musique qui puise très clairement dans le Krautrock des années 70. Malgré une interview et la question posée, on se pose toujours la question du rôle du quatrième membre assis face au groupe durant le concert.
Vient enfin Dalek, croisé plutôt dans la soirée. Dalek épuisé par deux mois de tournée et une voix presque cassée. Dalek qui souffre sur scène, qui ne cesse de boire de l’eau comme pour réduire la souffrance qui semble provenir de sa gorge. Dalek joue avec notre inconfort avec sa musique sourde et martelante, tout en clair-obscur. Il balance sa prose agressive, joue avec les marges pour un immense concert glaçant et enthousiasmant. Dalek ou le jeu avec les paradoxes.
Crédit texte et photos Greg Bod
Merci à Arnaud et Maëlle Le Gouefflec, David (x 2) , Vincent et Nathalie mais aussi Véronique Durand, Remy Talec, Gwen Auffret, Fred Monfort, Vincent Le Yeuc’h, Clement Beulan, Gwendal Kiger et Ray Flex. Merci aussi à toute l’équipe de la Carène, Yannick Martin, Ariane Eloy, Mick et Michel et à Emeline Uguen et Lucas Cloarec, et l’équipe de Canal Ti zef.