Il en aura fallu du temps pour voir ce premier disque de La Rive émerger. Endurants, Mikael Charlot et Didier Duclos ont choisi de laisser les années faire mûrir leur musique.
Credit Photo : Louis Teyssedou
Amis depuis trente ans, ils jouent ensemble depuis toujours. Mikael et Didier, se sont rencontrés sur les bancs d’un lycée. Ensemble, ils ont vécu toutes les étapes que l’on vit tous. Plus jeunes, ils se sont rêvés Pop avec leur premier projet Christine, ils croiseront sur leur chemin Fabien Guidollet pas encore à la tête du projet Verone. Très vite, la vie et ses contraintes nouvelles, à la fois matérielles et familiales les éloignent de la chose musicale. Plus ils s’en éloignent et plus ils se rapprochent de quelque chose qui ressemble à l’essentiel. L’envie de dire ce que l’on est, ce qui se cache en soi.
La Rive, autant vous le dire tout net, je les avais repérés, il y a quelques années, en furetant comme j’en ai l’habitude ici et là dans la blogosphère. Peut-on parler de rencontre avec une musique ? Je le crois. Assurément, avec la musique de ces deux-là, il y a eu rencontre. De loin, j’ai assisté à chaque étape de construction de ce qui devait devenir Sur l’autre rive. Les instants de doute, les craintes, l’autodépréciation. Les « qu’ai-je à dire musicalement ? », les « d’autres le font mieux que moi », les « que puis-je dire de personnel qui me ressemble ? ». Ce qui ressemble finalement à un processus de création, se nourrissant du doute et de la remise en question. J’ai connu mille et une version de chacun des morceaux, des tentatives parfois maladroites pour éveiller un univers que je sentais en germe, une terre prometteuse mais encore en jachère. J’ai lu et me suis reconnu dans les textes de Mikael Charlot, cette écriture classique et suggestive qui évoque les amours mortes, la lune, les caps lointains et les barres d’immeubles, première étape des camps de la mort.
J’ai connu les hésitations, les trente interrogations sur les visuels pour le disque. J’ai connu la recherche de la personne qui les aiderait à accoucher ces onze chansons qui forment Sur l’autre rive. Je me rappelle ce nom qui me vient comme une évidence, Jean-Charles Versari, ex chanteur des Hurleurs et créateur de belles atmosphères sur le superbe disque d’Aetherlone ou de Belle Arche Lou. Jean-Charles Versari fait office de papier d’argent révélateur, de mise en perspective, de contrepoint, de catalyseur. Quelqu’un qui aiderait à l’émergence d’une affirmation, d’une proposition singulière.
La musique de La Rive est nocturne, ces instants tout de suite après le crépuscule, ce temps avant l’heure bleue. On entendra ici et là Gerard Manset ou encore le Dominique A de La Mémoire Neuve. Pourtant, ce que chante La Rive est également marqué par les disques d’un Damien Jurado ou encore le folk américain des années 70. On dira ici tout le bien que l’on pense de la beauté des arrangements de Didier Duclos, ce pont de piano sur La Lune ou les Ondes Martenot d’Adela. Il y a chez ces deux-là aucune volonté, aucune velléité à vouloir trop s’affirmer. Leur univers n’est que suggestion, murmures et fragilité. Ils chantent l’anecdotique, les vents d’été sur les peaux nues. Ils chantent l’anecdotique, certes mais ne croyez pas aux apparences, ce qui semble futile est toujours l’essentiel. L’hiver a beau tombé sur les cœurs, il reste ce petit coin de lumière.
J’ai connu toutes les étapes de ce disque qui fût si long à voir le jour, à prendre corps. Pourtant, alors que j’écoute ces titres tant de fois entendus, j’y découvre à chaque fois un nouveau détail, j’y adjoins un peu de mon histoire. Ne voyez pas dans ces mots que je pose ici une forme de complaisance amicale, une chronique de circonstance. Il faut savoir reconnaître quand on le rencontre ce qui est fondamental, la musique de La Rive est précieuse. Elle va par-delà le vernis, à l’arrière des choses. Ce qu’elle révèle, c’est un peu de nous, de nos émotions mises à nue.
Greg Bod
La Rive – Sur L’Autre Rive
Date de Sortie : 12 septembre 2017