5 années séparent Clear Language, le nouvel album de Balmorhea, de Stranger. Autant dire une éternité. C’est donc avec encore plus de force que l’on prend conscience combien les américains nous avaient manqués.
Credit photo : Claire Cottrell
Le territoire du Post-Rock ou encore du Neo Classique sont pour le moins encombrés. On y croise le meilleur mais aussi le pire. Le Post-Rock a pour lui ou plutôt contre lui de véhiculer dans son processus de création quelques recettes usagées qui virent au cliché. Il en est de même du Neo-Classique qui navigue à vue entre souffles romantiques et acoquinage plus ou moins gracieux avec l’électro pour achalander le public Pop. Le piège souvent facile, c’est le caractère illustratif de l’exercice, la montée puissante que l’on sent venir quinze mesures avant.
Avec Balmorhea, cela n’a jamais été le cas. Les américains ont su construire lentement une œuvre qui s’affranchit des clochers, on pensera là à Tortoise, ici à Arvo Part, là encore à Loren Mazzacane Connors. Est-ce parce qu’ils sont originaires du Texas que leur musique a quelque chose à voir avec la spatialisation et les grands angles ? On entend tout au long de Clear Language une épure nouvelle, un Folk osseux et à nu. Il y a chez Balmorhea depuis toujours une attraction pour le gris-clair d’autant plus évidente sur ces dix nouveaux titres. Dix titres en équilibre fragile au bord de l’insignifiance avec des structures langoureuses. Dès l’ouverture, on se laisse embarquer dans ces textures en couches superposées.
Balmorhea chante taiseusement les grands espaces désertiques desséchés, le ciel avec des nuages chargés de pluie. Balmorhea chante la lenteur, cet instant où l’on se donne le temps de redécouvrir ce qui nous entoure. La lande trop familière comme un visage oublié ou délaissé. Clear Language est composé comme un cheminement en creux au milieu d’un rêve flou. Que cela soit Sky Could Undress et sa sensualité timide ou Dreamt et ses drones sépulcraux, le sentier est accidenté, parfois raide. Mais derrière cette urgence, il y a toujours une forme de quiétude latente à l’image de Slow Stone et ses cuivres discrets.
Clear Language est conduit avec une réflexion profonde. Ecco et sa guitare presque Noise ne passent absolument pas pour des intrus au milieu de ce disque apaisé. Il semble au contraire servir de passerelle entre deux époques de l’album. Aussi étrange que cela puisse paraître, Behind The World rappellera parfois le Spiderland de Slint quand Waiting Itself s’autosuffit à travers un piano sublime. Avec 55, on retrouve les mélodies presqu’enfantines si chères à Balmorhea, celles que l’on adore chez Peter Broderick. On retrouve un peu de cette dissonance entendue chez Cul De Sac sur All Flowers.
Le Post-Rock est souvent une musique virtuose, volontiers janséniste et austère quand elle n’est pas carrément fièrement scientiste, comme une longue théorie fumeuse qui perdrait consistance au point d’oublier l’auditeur. Avec Balmorhea, vous restez au centre de toutes les attentions un peu en écho des volontés de clarté de The Album Leaf auquel l’on pensera parfois comme sur First Light.
On vient chercher dans les univers des grandes musiques sans mot une once d’accalmie, une autopsie tranquille de nos ombres, l’accès à un langage plus clair, ce que Balmorhea d’œuvre en œuvre échafaude lentement et c’est déjà beaucoup.
Greg Bod
Balmorhea – Clear Language
Label : Western Vinyl / Differ-Ant
Sortie le 22 septembre 2017