Jean-Louis Murat nous revient en cette fin d’année avec un album radicalement différent de sa production habituelle. Deux avis pour cet album. « Disque complexe mais d’une grande richesse » pour l’un, et « pensum laborieux et irritant » pour l’autre. A vous de choisir.
Pour :
L’ambition est une chose rare dans la musique française, la frilosité d’un artiste pensant que son auditeur ne pense pas faisant parfois office de règle. L’ambition est souvent mal comprise à l’image de Travaux sur la N89, ce nouvel album complexe de Jean-Louis Murat.
Avec Jean-Louis Murat, on n’est jamais loin du malentendu, de l’incompréhension. Celui que l’on imagina en chanteur de variété, gendre idéal, chanteur pour midinette avec Mylène Farmer pour mieux se réinventer ensuite avec des albums radicaux. Celui qui se vit artisan à la manière des folkeux des années 60, stakhanoviste et hyperproductif parfois jusqu’à l’excès. Bien sûr, il y eut quelques déchets, quelques albums mineurs ou ratés mais à chaque fois la note d’ambition était ample et inventive.
Chez Murat, on ne peut trouver aucune volonté d’opportunisme, lui que l’on sent porté par un instinct presque sauvage, touffu et proprement brut de décoffrage. On le connaît pour ses saillies vis-à-vis de ses voisins chanteurs, leur reprochant souvent leur mollesse artistique. On n’est pas loin de se ranger à son avis.
Ce que l’on ne peut nier chez l’auvergnat, c’est cette aspiration à se mettre en zone d’inconfort quitte à parfois se prendre les pieds dans le tapis. Avec Travaux Sur La N89, il signe un disque qui divise, qui laisse certains perplexes, d’autres enthousiastes. On l’imagine bien rigolant de nos mines surprises. Car dans le rapport créatif de Murat, il y a depuis toujours une tentation d’irriter l’épiderme, de provoquer le paradoxe entre dégoût et admiration.
Ce nouvel album entretient ce paradoxe. A la première écoute, on ne saisit rien à ce chaos sonore sans fil à tirer. On pensera souvent dans la démarche au dernier Bon Iver qui, plutôt que de suivre une recette bien maîtrisée, s’essaie à une autre vision ou encore le Flotus de Lambchop si différent du reste de la discographie de Kurt Wagner et en même temps pas si éloigné. Il en est de même de Travaux Sur La N89, on est d’abord surpris par cette déconstruction méthodique, ces effluves électroniques puis d’écoute en écoute, on en perçoit les envies. On pensera parfois à Dolores pour cette même dilatation de l’espace, ce même travail sur les textures. Dans un bien différent contexte, on pensera en termes d’ambition au sublime Ferme tes jolis cieux de Midget !
D’écoute en écoute, on apprivoise ce son étrange, à mi-chemin entre Michel Legrand et un Autechre assagi. On croit entendre Holden par exemple sur Dis Le Le avec un Murat au second plan, presqu’effacé, laissant la plus grande part à Morgane Imbeaud. C’est d’une beauté singulière, presque répulsive, frisant avec l’incompréhension. En découvrant Travaux sur la N89, on se plait à s’imaginer ce que rendrait la musique de Murat entre les mains d’autres grands destructeurs de la chanson (pour mieux la reconstruire) comme les belles personnes du label Le Saule.
Travaux sur la N89 est de ces disques qui résistent à la critique instantanée et consommable, il faut s’abandonner patiemment pour percevoir derrière ce premier sentiment d’escroquerie toute la richesse d’un disque complexe.
Greg Bod
Contre :
Nous savons le Bergheaud des bois coutumier des chemins de traverse – entre collaboration avec Isabelle Huppert (Madame Deshoulières) et balade dans la musique médiévale (Tristan) – et à chaque fois, ces errances buissonnières, pour être rafraîchissantes, ont eu plutôt l’allure d’une parenthèse manquant d’enchantement au sein d’une discographie par ailleurs roborative. Et il nous faut bien admettre que ce Travaux sur la N89 (titre magistral bien digne de l’humour de l’ours auvergnat…) ne fera pas exception à cette règle… et ce malgré le soutien à contre temps des médias, qui avaient pourtant brillé par leur absence lors de la sortie du magnifique Morituri (rappelons que Murat n’avait pas pu tourner pour soutenir cet album exquis, faute d’intérêt général…).
Le pas de côté a cette fois le goût d’une incartade électro-jazzy un tantinet opportuniste (cherche-t-il à plaire aux jeunes branchés ? On n’ose pas le croire, même si les Inrocks sont extatiques !) d’où le format « chanson » est banni au profit d’une douce divagation à deux voix qui se construit en faisant fi de toutes les règles usuelles, mais, et c’est bien là le problème, de toute ambition mélodique. Ce qui fait que, malheureusement, passé une première écoute intrigante et intriguée, Travaux sur la N89 a tout d’un pensum laborieux – en dépit de sa légèreté, un comble -, voire même régulièrement irritant : le maniérisme bien connu de la poésie et de la voix de Jean-Louis le faisant pour une fois chuter du mauvais côté de la ligne de crête qu’il parcourt habituellement d’un pas sûr de funambule expérimenté.
Bref, nul n’en voudra bien entendu à Murat pour ce genre d’audace, à la fois stimulante et provocatrice, mais nous regretterons forcément qu’un artiste aussi précieux ait perdu une année pour un résultat finalement aussi peu aimable. Nous serons donc tous au rendez-vous de son prochain (vrai) album en 2018.
Eric Debarnot
Jean-Louis Murat – Travaux sur la N89
Label : [PIAS] le Label
Date de sortie : 24 novembre 2017
Un disque qui a le grand mérite d’être déroutant mais pas indigne d’intérêt comme le prouve votre billet. Jean-Louis Murat à , je pense, pris son parti qu’il ne sera jamais un grand chanteur populaire alors que cette idée aurait être pu véridique à l’époque du « Col de la Croix Morand » mais aujourd’hui, il assume et innove quitte à perdre des fidèles en route. j’ai toutefois préféré (et de loin !) « Babel » et « Morituri » qui étaient des albums plus denses et plus travaillés à mon gout . je souhaiterai que Jean-Louis Murat nous revienne dans deux ans avec un album digne du « Moujik et sa femme » de 2002 qui était parfait à mes oreilles.