Grand retour pour Spike Lee sur le devant de la scène, mais côté petit écran cette fois-ci. Loin de s’être assagi, le réalisateur engagé afro-américain revisite son premier « joint » (comme il aime appeler ses oeuvres) : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, son petit film indé noir et blanc de 1986, déjà bien politique et féministe.
Si l’idée de ce remake rallongé pour le format sériel peut surprendre de prime abord, les premiers épisodes confirment ce qu’on imaginait bien : à travers le même exact portrait de cette jeune femme aux trois amants, artiste bohème et féministe dans un quartier de Brooklyn, qui vit sa vie comme elle l’entend, Spike Lee montre évidemment la manière dont la société a évolué (ou pas d’ailleurs) en trente ans. Gentrification urbaine, harcèlement de rue, racisme, libération sexuelle, revendications sociales, les ères Obama puis Trump, tout cela sert de toile de fond, engagée et sur un ton parfois grave, alors même que l’histoire principale, centrée sur la vie quotidienne de Nola et de ses amis/amant(e)s/proches, narre la banalité avec des pastilles pop et colorées énergiques et très musicales.
Au fond, il creuse toujours ce sillon qui anime son oeuvre depuis le départ : évoquer l’histoire de la cause noire aux USA, à travers ses leaders (comme Malcolm X) ou des petites gens qui font l’Histoire des Afro-américains. Ici, il montre pour la première fois des personnages qui ont pour la plupart réussi, ou du moins avec des statuts sociaux privilégiés au milieu d’un Brooklyn beaucoup moins populaire que dans le film d’origine. Une nouveauté dans son oeuvre, qui interroge la manière dont (enfin !) le peuple noir commence à s’affranchir d’une histoire faite uniquement de luttes. Mais tout n’est pas rose : et certains passages, parfois lourdauds comme l’évocation en forme de brûlot de l’élection de Trump, confirment que les luttes sont loin d’être terminées, que ce soit au niveau des discriminations, de l’égalité entre hommes et femmes, du droit d’aimer qui l’on veut ou de s’habiller comme on le désire.
Mis en scène de manière facétieuse et très tonique par un Lee particulièrement en forme, illustrée par d’immenses morceaux – souvent inconnus – de musique black de toutes époques dont on découvre la pochette d’album à chaque fin de scène, She’s Gotta Have It est un vrai régal, un peu foutraque et pas toujours parfait, mais qui évoque beaucoup, questionne pas mal, dénonce parfois et parsème tout le temps une bonne humeur communicative. Retour gagnant.
Jean-françois Lahorgue
Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (She’s gotta Have it)
Série américaine de Spike Lee
10 épisodes de 30 minutes
Avec DeWanda Wise, Anthony Ramos, Cleo Anthony, Liriq Bent…
Première iffusion : Netflix en octobre 2017