Aussi rare que brillante, la portugaise apatride Lula Pena sort un troisième album, Archivo Pittoresco brillant et tremblant, à la saudade solaire.
A l’heure des bilans des fins d’année qui sonne, on se retourne sur ce que l’on a écouté, ce que l’on a chroniqué, ce que l’on a parfois délaissé. On tente de réparer des injustices comme avec Archivo Pittoresco, ce sublime troisième disque de Lula Pena.
A quoi peut bien ressembler la mélancolie, la douceur de la chair endormie ? Sans doute à ces « Actos de fado » que chante depuis 20 ans Lula Pena, soient des perles tranquilles qui se suffisent à elles-mêmes. Pourtant, on a une tendance fâcheuse, nous amateurs de Rock Indé, à nous détourner quand on nous parle de ce malentendu qu’est la World Music car finalement la musique représente toujours le monde. Alors pourquoi ajuster quelque chose de péjoratif à une évidence ?
La musique de Lula Pena n’est pas du monde ou d’un pays, elle est apatride. Là chantée en français, là en grec, c’est avant tout une langue libre et vagabonde. Essayez d’imaginer un instant la rencontre entre Tom Waits et Matt Elliott et vous aurez un semblant d’idée des tonalités que vous entendrez au sein de ce disque intrigant.
Intrigant car à la fois lyrique et minimal, clair et hermétique, fluide et poreux entre les doigts. Lula Pena ne chante pas le Fado, elle le vit, elle le subit.
On verra quelques proximités sur le superbe Cantiga de amigo avec la musique du regretté Gianmaria Testa pour cette loupe sur les détails, ces brisures qui ne se disent pas. Entrer dans la musique de Lula Pena c’est prendre la mer, partir au large. N’oubliez pas que le Fado est né dans les ports, Lisbonne en particulier, ces marins qui pleuraient dans le secret de leurs cahutes la belle qui les attendait au pays. La musique de Lula Pena est expressive avec peu comme Rodrigo Leao ou encore Madredeus. Ce qui est assez étrange dans le langage de Lula Pena parfois, c’est qu’elle ne prend que quelques éléments de textes d’auteurs, des fragments de morceaux existants qui deviennent siens. Prenez Come Wander With Me initialement écrit par Jeff Alexander et chantée par Bonnie Beecher, avec la voix grave et précieuse de Lula Pena, il prend des allures de complainte asséchée.
Il sera difficile de ne pas résister à des merveilles comme Ojos Si Quereis Vivir ou encore Ausencia où l’on comprend que le charme absolu peut venir du plus simple et du plus nu.
Comme j’aimerai avoir votre chance, vous qui ne connaissez pas le travail de Lula Pena et qui allez découvrir cet univers contenu dans une perle de pluie, une larme parfois, un grain de poussière étincelant au soleil souvent. Archivo Pittoresco est le troisième album d’une artiste bien trop rare qui vit à un rythme bien différent d’une industrie du disque dont elle n’a que faire. Malheureusement, ses deux premiers disques sont épuisés (Une réédition chez Crammed Discs serait la bienvenue) mais je ne peux que vous conseiller l’écoute de l’ensemble de la discographie d’une belle dame à la mélancolie rayonnante.
Car le Fado est sans frontière, car il est avant tout l’archive de ce que contient notre âme.
Greg Bod
Lula Pena – Archivo Pittoresco
Label : Crammed Discs
Sortie le 27 janvier 2017