On avait repéré Matthieu Eveillard, exilé à New York, à la faveur de son album sorti en début d’année. Il revient avec 4 nouveaux titres comme autant de nouvelles pistes avec cet EP, « Tous Nos Feux Brûlent La Nuit ».
C’est sans doute car c’est notre langue natale que nous sommes d’autant plus exigeants avec les artistes qui se dévoilent sans paravent, nous ne leur pardonnons aucune facilité, aucune faute de goût. La langue française est une langue sublime mais à la prosodie difficile à appréhender. Rares sont les musiciens qui savent insuffler une identité sonore à chacun de leurs mots tout en sachant donner raison au verbe. On ne citera pas ici les grands anciens qui jouaient avec la langue comme on sculpte une matière. La chanson d’ici et d’aujourd’hui a peut-être oublié cette notion-là, du mot comme note musicale. Les grincheux vous diront que la langue française ne s’y prête pas, qu’elle est bien trop tonique pour soutenir les nuances.
Ecoutez dans ce cas ces quatre titres de Matthieu Eveillard sur cet EP, Tous Nos Feux Brûlent La Nuit. On comprend aisément que l’essentiel n’est pas dans les orchestrations totalement portées par une guitare folk (loin d’être anecdotique) mais bien dans cette liaison avec la langue. La faute peut-être au travail de Matthieu Eveillard, libraire aux Etats-Unis. Peut-être aussi que cette langue superbe doit beaucoup à ce déracinement, à cette absolue nécessité à rester en complice avec cette langue comme une extension de son identité.
On entend Hubert-Félix Thiéfaine à l’écoute d’Abyssinie, Rimbaud, Pirandello. Une écriture énigmatique, parfois cryptée, volontiers liquide. Savez-vous ce qu’est le Fado ? Au-delà du seul genre musical, c’est l’expression d’une mélancolie nourrie par l’impression de n’être jamais à sa place, de ne pas être du troupeau, de ne pas laisser les dés décider pour nous. On trouve le tout dans Jardin d’Eden.
Matthieu Eveillard chante les horizons brouillés, les ailleurs sans rêve, les marins endormis. Ses mots ont une chair, une couleur de peau, celle du symbolisme et des auteurs décadents. Belle proximité avec le brestois Colin Chloé.
« Je tire une balle vers les cieux en visant l’albatros ».
Il adapte avec une belle émotion The Dream Scene de Kowalski, son autre projet de Folk expérimental. Le titre original ressemblait plus à la rencontre entre Dirty Three et Françoiz Breut, il assèche ici le propos et cette scène de rêve prend des apparences bien plus sombres là où on percevait encore de la clarté même sourde dans la version d’origine.
Avec Tous Nos Feux Brûlent La Nuit, Matthieu Eveillard rencontrera, c’est sûr, les êtres sensibles à une belle écriture jamais seulement illustrative mais toujours brillante.
Greg Bod
Matthieu Eveillard – Tous Nos Feux Brûlent La Nuit
Label : Autoproduction
Sortie le 6 juillet 2017