Disque pop en forme d’enquête, How The Wild Calls To Me, à la fois objet musical et œuvre théâtrale et documentaire, redonne vie à au personnage de Everett Ruess. Passionnant.
Credit photo : Julien Bourgeois
On peut parfois se satisfaire d’une carrière déjà bien remplie. Emmanuel Tellier est le journaliste reconnu que l’on connaît mais aussi un des acteurs des projets les plus passionnants de ces dernières années dans la Pop d’ici avec Chelsea, Melville, La Guardia et bien sûr 49 Swimming Pools. Avec How The Wild Calls To Me, il signe un disque magistral comme une sorte d’hommage à un Ouest fantasmé.
Jusqu’ici, Emmanuel Tellier, avec ses complices, avait signé des disques diablement attachants mais sans faire le grincheux, il leur manquait un presque rien qui leur permettait de basculer dans une autre catégorie, celle des grands disques intenses.
Prenant d’office le parti pris de suivre le chemin d’Everett Ruess, 49 Swimming Pools nous fait découvrir le destin d’un jeune homme de 20 ans disparu subitement en 1934 dans le désert américain et dont on a retrouvé la dépouille en 2009. 49 Swimming Pools illustre le parcours de ces Hobos. A noter que ce disque est d’abord le fruit d’une pérégrination d’Emmanuel Tellier sur les lieux mêmes de la disparition, un travail entre enquête et reconstruction d’un être. A partir de détails, recréer la vie en somme. A noter aussi que ce disque a connu un prolongement à travers une création théâtrale.
How The Wild Calls To Me est finalement la mise en scène d’une disparition. On pensera parfois au chef d’œuvre un peu oublié de Peter Weir, Pique-nique à Hanging Rock sorti en 1975. Musicalement, le disque bascule entre Folk des Appalaches et Pop habitée. Mention spéciale au titre qui donne son nom à l’album avec ses accents à la The Church de Steve Kilbey.
Bien sûr, ici, plus que jamais, 49 Swimming Pools assume son attirance pour le monde américain. On aime depuis toujours dans le travail d’Emmanuel Tellier cette propension au doux-amer qui évoque ici la Carson Mc Cullers du Cœur est un chasseur solitaire, ces mots-là :
« Il y avait un certain compositeur dont la musique lui faisait toujours battre le coeur. Cette musique ressemblait parfois à de petits morceaux de cristal colorés et, quelquefois, c’était la chose la plus douce, la plus triste que l’on pût imaginer. »
La musique de 49 Swimming Pools trompe les impressions, glisse de la mélancolie dans l’énergie. On bascule souvent dans le grand frisson à l’image de The Thousand Year Long Road avec cette voix trafiquée et minuscule comme un clin d’œil à Mark Linkous.
Dans un autre article, je faisais un pont entre Da Capo et 49 Swimming Pools mais aussi A Singer Must Die pour cette attirance somme toute assez commune pour les grands espaces mais aussi les brumes anglaises. Sauf que ces groupes cités, eux, y apportent cette identité totalement assumée de français et intègrent un exotisme à leurs regards insatiables de curiosité. How The Wild Calls To Me est souvent vibrant par ses émotions comme un vieux Bowie (genre Ziggy Stardust). La faute peut-être à un piano fin de siècle sans doute nourri à la Pop mais aussi à l’école romantique. Lyrique, la musique de 49 Swimming Pools l’est totalement.
C’est sans doute à son passé-présent de journaliste pour Emmanuel Tellier que l’on reconnaît cette fluidité dans la narration et ce talent à raconter une histoire, à tisser une psychologie et à nous attacher au parcours d’un personnage. Musicalement, l’écriture est volontairement classique sans jamais tomber dans un académisme trop évident. Car on y entend aussi toute la générosité baroque du groupe mais aussi l’attachement du créateur pour son histoire et les personnages.
On croisera ici et là Roy Orbison, Charlie Rich en train de faire le bœuf dans l’arrière-salle enfumée d’un bar pour les êtres en bout du course. On entendra aussi les échos d’une musique de cabaret, entre glam rock et glissades à la Brecht.
How The Wild Calls To Me ressemble en somme à un grand Deus Ex Machina, à la fois objet musical mais aussi œuvre théâtrale et documentaire qui cherche à redonner vie à Everett Ruess, sorte de vagabond au destin brisé. Un disque en forme d’enquête, comme un archéologue qui redonne voix aux disparus.
Greg Bod
49 Swimming Pools – How The Wild Calls To Me
Label : Microcultures
Sortie le 27 octobre 2017