En l’espace de trois albums (presque solo), Michel Cloup s’est affranchi de l’héritage de Diabologum pour se donner une identité propre. Il revient ici accompagné d’une amie de toujours, l’artiste visuelle Béatrice Utrilla pour une introspection saisissante.
Comme on a pu aimer Diabologum pour sa noirceur, sa hargne, comme on a pu depuis aimer le travail des deux frères, désormais antagonistes, que sont Michel Cloup et Arnaud Michniak. Comme on aime aujourd’hui le travail entamé par Michel Cloup en 2011 avec Notre Silence qui évoquait le deuil avec une belle écriture blanche, à la fois désamorcée et ouverte. On l’aime ce lyrisme rentré et cette noirceur exacerbée.
On se souvient alors d’un concert à Brest, à La Carène avec Pascal Bouaziz, Patrice Cartier, Michel Cloup, déjà Béatrice Utrilla et ici Françoise Le Brun. On se rappelle cette toute petite discussion avec soi-même durant le concert où l’on se plaisait à imaginer un dialogue intérieur entre un homme et une femme, deux êtres enfermés en eux-mêmes dans une distance imperceptible et pourtant bien là. Etats des lieux intérieurs est de ce territoire-là, un travail à quatre mains entre deux artistes, deux sensibilités qui se contractent, qui se replient au fond de soi. On avait déjà croisé Béatrice Utrilla dans l’univers de Michel Cloup. La pochette de #3, des participations régulières pour des clips, du travail visuel. Avec ce nouveau disque, c’est pleinement une collaboration de chaque instant, l’écriture de Michel Cloup à la rencontre de l’émotion de Béatrice Utrilla. On peut considérer Etats des lieux intérieurs comme une forme de prolongation d’Ici et Là-bas pour cette dimension politique plus comme un constat neutre d’un état intérieur mais aussi de ce qui nous entoure.
« Ce sont les variations qui diffèrent, ce sont les variations qui importent. Il faut avancer malgré tout. »
La société comme un terrain vague, la société aseptisée qui oublie le collectif, la douleur commune, la douleur fantôme.
Etats des lieux intérieurs est un disque âpre, janséniste et sec, ponctué de cliquetis d’enfermement. Cloup dit l’attente, les impasses avec sa voix neutre et froide. Le processus est assez simple et d’autant plus glaçant, la guitare et les voix des deux comme deux monologues qui se répondent parfois de manière aléatoire, comme un accident. Parfois, on y entend la solitude et la détresse la plus pure comme Dans Ma Tête. On pensera parfois à un Suicide neurasthénique et sec. On y entend aussi un échange jamais impudique entre deux êtres complices, Ces images par exemple, seul moment de dialogue d’une voix seule.
Michel Cloup met en perspective dans Une Voix ce conflit entre l’état intérieur et l’état extérieur, l’idée peut sembler simpliste mais il dit avec pertinence cette politique en déchéance, ces idéaux branlants, cette culture qui s’assèche qui finit par parasiter et salir l’individu.
Sans aucun doute ce qui rapproche le toulousain de Mendelson et de Pascal Bouaziz en particulier, c’est cette écriture belle et suggestive, ce mélange entre fiction de l’amour et quotidien juste trivial. Plus que jamais ici, il y a un travail sur le verbe, la musique n’est pas accessoire (loin de là) mais il faut entendre dans ce travail sur le verbe ,par-delà la seule signifiance, une volonté à vouloir donner du sens au son des mots, une langue canine et mordante quand elle n’est pas murmure. Prenez Amour Fiction et ces jeux de réponse ou la lente plainte de Et mes souvenirs dans tout ça, ces envies de futur et rien d’autre, la peur de la perte de la mémoire.
Avec Se détacher, on se retrouve peut-être au plus proche des ambiances habituelles chez Michel Cloup, cette hargne cynique et bravache. A l’écoute d’Etats des lieux intérieurs qui commence par un long drone instrumental, on a cette impression de voir lentement le décor prendre corps, le monologue devenir dialogue, échange et rencontre.
Une rencontre nécessaire entre deux artistes pour un corps unique.
Greg Bod
Michel Cloup & Béatrice Utrilla – Etats des Lieux Intérieurs
Autoproduction
Sorti le 7 décembre 2017