On peut dire que l’année commence en beauté avec cet époustouflant thriller gothique, voyage initiatique au pays des monstres et des merveilles ! Signé par deux maîtres du neuvième art.
Dans un Paris battu par des pluies diluviennes, Betty Couvreur et sa fille se lancent sur la piste d’un mystérieux maître-chanteur, qui harcèle la mère de Betty depuis des années. Lors de son enquête, la jeune femme va découvrir un extraordinaire secret de famille venu du fond des âges.
Fruit d’une collaboration entre deux pointures de la bande dessinée, ce beau pavé inaugure à merveille cette année 2018. D’emblée, le lecteur est captivé par cette histoire à l’atmosphère très particulière, quasi apocalyptique, qui voit Paris littéralement noyé sous les eaux, alors que la pluie tombe en permanence. Grâce à son formidable coup de crayon et son sens du cadrage, Frederik Peeters sait parfaitement distiller le mystère dès le début, accentuant l’aspect fantastique du récit par un gros plan sur une gargouille de Notre-Dame, sur un crapaud égaré sur un trottoir, ou sur le chat noir peu amène confié à Betty par ses voisins… L’auteur de Lupus fait preuve ici d’une grande virtuosité tant dans le dessin – magnifique, ces paysages de montagne dans la brume, avec un beau rendu à l’aquarelle – que dans la mise en page, très dynamique, tandis que le choix du noir et blanc est tout à fait adapté au climat menaçant de ce conte moderne.
Le dessinateur genevois fait ainsi honneur au scénario de Serge Lehman, très maîtrisé de bout en bout et ne souffrant d’aucun temps mort. Pour ce faire, Lehman a puisé dans la mythologie juive et la littérature fantastique française du début du XXe siècle, en organisant une rencontre explosive entre le légendaire golem et une sorte de cousin du Fantôme de l’Opéra prénommé Max Corbeau, avec en toile de fond un antique secret lié à la sorcellerie. Comme il le dit lui-même, l’auteur cherche par son travail à redonner au fantastique français la place qu’il a perdue au profit des Américains, en raison notamment de l’état d’esprit trop cartésien qui règne dans l’Hexagone. Et on se rend compte en effet que ce thriller terrifiant, qui ne se contente pas de singer les comics d’outre-Atlantique, n’a absolument rien à leur envier, bien au contraire !
Outre l’aspect fantastique du récit, les personnages ne sont pas négligés pour autant. Qu’ils soient principaux ou secondaires, ils sont tous bien campés, qu’il s’agisse des héroïnes, très attachantes, ou à l’inverse de Max Corbeau, créature vicieuse et cauchemardesque sortie tout droit d’un tableau de Jérôme Bosch. C’est bien ce qui rend cet ouvrage tout à fait unique, comme si le genre fantastique avait fait alliance avec le récit psychologique à la française. Car la quête à laquelle se livre Betty est finalement un peu celle de tout un chacun : remonter à ses origines pour comprendre qui l’on est, chasser ses vieux démons pour, peut-être, enfin trouver l’apaisement…
Entre roman graphique, légende urbaine et conte immémorial, L’Homme gribouillé s’impose déjà comme un classique du genre. La synergie entre les deux auteurs semble avoir fonctionné à plein, et laisse véritablement espérer qu’ils n’en resteront pas là.
Laurent Proudhon
L’Homme gribouillé
Scénario : Serge Lehman
Dessin : Frederik Peeters
Editeur : Delcourt
320 pages – 30 €
Parution : 17 janvier 2018
Après « L’odeur des garçons affamés » (n°1 de mon top BD 2016), en collaboration avec Loo Hui Phang au scénario, un autre projet pour Peeters donc. Et autre scénariste.
Je ne l’ai pas encore lu, donc je ne vais pas le commenter. Mais Peeters est, pour moi, un des (si ce n’est LE) meilleurs créateurs de BD actuels. J’ai lu tout son travail et ai adoré toute son oeuvre. Autant dans le dessin, les cadrages, la mise en scène, son sens inouï de la narration, son univers, ses thématiques, ses scénarios (quand il est en total solo), ses personnages….Ce type est un génie !!!
Et après avoir lu votre papier, j’ai encore plus envie de me plonger dans ce nouveau pavé.
Merci pour votre site très éclectique et trop top.
A +