Grosse claque ce mardi 23 janvier 2018 avec avec la prestation ébouriffante des californiens de Starcrawler portés par la chanteuse élastique Arrow. Du son fort et brutal, du (faux) sang, de la sueur… pour un set 100% Rock’n’roll !
Credit photos : Eric Debarnot
Le truc important et compliqué pour tout passionné de musique, c’est de surveiller constamment la naissance de nouveaux groupes ou artistes susceptibles de l’intéresser, et donc de ne pas trop louper les futurs grands de demain, ni même les groupes éphémères qui lui pourvoiront un plaisir non négligeable pendant quelques mois. L’atomisation extrême de la scène musicale contemporaine et l’ultra spécialisation des médias ne rendent pas cette tâche facile, et ce d’autant que la mode chez les intellectuels parisiens n’est clairement plus au rock qui fait du bruit ! Au milieu de ce cirque infernal de recommandations et de rumeurs, qui embrouillent les esprits plutôt qu’autre chose, le bruit que suscite Starcrawler semble être le signal que quelque chose est peut-être en train de se passer du côté de la scène punk angelena : un disque loin d’être génial mais remarquablement nerveux et dynamique relance l’excitation… Tenons-nous enfin les héritiers des Runaways et de X ? Cela valait le coup d’aller vérifier cela sur scène au Point Éphémère en cette soirée grise et pluvieuse.
20h30 : Grit, jeune groupe français qui essaie de percer sur le champ de bataille du rock traditionnel déserté désormais par le public comme par les media.
Un quatuor jeune et qui n’en veut, comme on disait autrefois, quatre musiciens très compétents techniquement qui proposent une musique à la fois agressivement rythmée et curieusement décalée. Oscillant donc entre riffs à l’américaine et déconstruction mélodique bien de chez nous. Marcus, le chanteur, qui essaie d’impliquer le public un peu indifférent entre les chansons, et ses acolytes dégagent une énergie joyeuse, mais curieusement, après un démarrage prometteur, le set ne décolle jamais et l’intérêt retombe. Plus de 35 minutes pas inintéressantes mais qui tombent un peu à plat. Bref, malgré la sympathie qu’ils dégagent, pas forcément l’avenir du rock à guitares en France.
Je suis un peu inquiet car Arrow de Wilde (quel nom !), la chanteuse de Starcrawler a la réputation d’asperger copieusement le public de liquides divers, et je suis placé ce soir presque au milieu du premier rang (il est vrai que la scène du Point Éphémère n’est pas large !)… Je ne suis pas sûr de sauver mes vêtements de cette soirée…
21h30 : l’obscurité se fait et l’excitation est palpable dans un Point Éphémère bien rempli… même si le premier rang est surtout occupé par des photographes d’un certain âge et non par de jeunes fans surexcités.
Sans doute l’image vaguement sulfureuse d’anorexique cracheuse de faux sang de Arrow… A moins que, plus tristement, cela soit surtout le fait que le rock’n’roll joué dans le respect des canons du genre n’attire plus guère que des vieux barbons de mon âge !
Dans l’obscurité, trois musiciens s’installent, guitare à gauche, basse à droite, batterie au centre, le format classique (tiens, c’est drôle il me semblait qu’il y avait deux guitares dans Starcrawler...). La silhouette arachnéenne de Arrow se discerne dans le noir : elle nous tourne le dos, agenouillée devant la batterie (une position qu’elle va en fait adopter systématiquement entre les morceaux durant tout le set). Wham Bam Thank you Mam, c’est parti ! Un torrent de sensations immédiat : le son, fort et brutal, avec une guitare omniprésente, hystérique, fait immédiatement culminer l’excitation comme aux beaux jours des seventies. Arrow déploie son corps comme un insecte géant devant le micro et l’impression est assez tétanisante, figeant le public fasciné (?) qui du coup semble hésiter à basculer immédiatement dans le pogo qui s’imposerait pourtant. Très grande, très, très maigre – on n’a sans doute jamais vu encore une chanteuse de ce format-là – Arrow est vêtue d’un body couleur crème (les tons de la pochette de l’album) et d’un gant et d’une sorte de bas-cuissarde cloutés, une tenue qui pourrait être ultra sexy sur un corps plus… féminin, mais qui évoque plus ici une sorte de menaçante monstruosité, en accord avec sa voix froide. Son visage, quasiment toujours dissimulé derrière ses cheveux rouges, n’affiche que morgue et indifférence, voire mépris, dans une attitude qui est le parangon des clichés rock’n’roll (disons l’école Johnny Thunders, entre hébétude et isolement royal). Un choc, indéniablement, on comprend le buzz conséquent autour du groupe.
A sa droite, l’exact opposé, Henri Cash à la guitare : vêtu de noir avec quelques franges blanches, ne tenant pas en place, sautant partout et sans arrêt, moulinant sa gratte avec des gestes outranciers, offrant sans cesse un spectacle d’énergie juvénile rassérénant l’éternel adolescent en nous, il est l’âme de Starcrawler, la foi en la jeunesse éternelle du rock’n’roll, le parfait contrepoids à la morbidité intense de Arrow. Il grimace, il provoque, il rit, il décharge des riffs fulgurants avec une aisance terrassante : on l’aime instantanément !
Les deux autres, Tim Franco à la basse, tout jeune lui aussi et tout sage, avec l’air surpris d’être déjà là à son âge, sur une scène parisienne, et Austin Smith le batteur chevelu, appliqué et essentiel, complètent un combo finalement assez exemplaire.
Je ne reconnais pas les premiers morceaux, je me dis que je n’ai pas écouté suffisamment encore l’album, jusqu’à ce que Love’s Gone Again, et puis l’emblématique I Love L.A. me rassurent… Mais je me rends compte tout de suite qu’ils sont tous transcendés par le live, qu’ils acquièrent une puissance et une magie que les versions studio n’ont pas : Starcrawler est un vrai groupe de scène et ça, c’est un vrai bon point !! Je suis même surpris par la passivité du public ce soir : il y a bien un petit mosh pit joyeux et bon enfant derrière moi, mais je ne suis même pas bousculé, un comble ! Non, malheureusement, j’ai le sentiment désagréable que le public parisien est un peu venu ce soir contempler un phénomène de foire, et que ce bon rock’n’roll roboratif dont le groupe nous abreuve est secondaire. Et pourtant, quand Henri et Arrow chante ensemble, se répondent, comme sur Love’s Gone Again, les fantômes de X viennent faire un petit tour sur scène, et je fonds littéralement. Mais bon sang, pourquoi n’y a-t-il que moi qui m’excite au premier rang ?
Arrow vient repousser du pied mon voisin de gauche, puis vient tripoter le visage de mon voisin de droite, j’échappe pour le moment à son attention malgré ma chemise blanche qui tranche avec les t-shirts noirs autour de moi ! Jusqu’à ce qu’elle vienne se moucher au-dessus de moi. Pas trop grave si l’on compare aux glaviots sur nos vêtements et dans nos cheveux à la sortie de certains concerts en 1977… J’attends le fameux faux sang avec un peu d’appréhension, quand même !
Bon, les titres de Starcrawler font en général dans les deux minutes, donc, malgré les pauses de Arrow pour se recharger en fluides divers (toujours agenouillée ou accroupie devant la batterie, nous tournant le dos, donc…), et en dépit d’un joli cafouillage dans l’obscurité quand la guitare de Henri se débranche et que c’est un peu une galère pour retrouver le bon câble dans le noir, le set passe très vite, trop vite. What I Want nous fait chanter en chœur (enfin, quelques-uns d’entre nous…), et Pussy Tower avec ses deux voix est un vrai rêve. C’est évidemment le riff de Train, pompé sur QOTSA mais on leur pardonne, qui annonce la fin proche du set, et c’est là que Arrow se met à déglutir du sang : c’est bien impressionnant, mais il y a si peu de lumière ce soir au Point Ephémère que je ne pourrai pas immortaliser la scène. Et puis, j’essaie aussi en même temps d’éviter les éclaboussures, pardonnez-moi ! Chicken Woman, le meilleur morceau de l’album, nous est annoncé par Henri comme le dernier titre, alors qu’on vient à peine de dépasser les 30 minutes de set. Punk, on vous dit ! J’attends la divine accélération finale, mais non, juste quand ça commence, Starcrawler opte – logiquement – pour le chaos : Arrow descend dans la fosse et disparaît immédiatement de notre vue (elle ne réapparaîtra plus !), tandis que Henry surfe longuement sur nos têtes avec sa guitare. Il finit par remonter sur scène en compagnie d’une jeune fille du public, qu’il essaie en vain de convaincre de prendre sa guitare. Le set se termine donc dans la pagaille, les musiciens quittent la scène en rigolant. Et il est clair qu’il n’est pas question de rappel ! Merde, ils nous ont quand même gratifiés généreusement de 35 minutes de musique ! Punk, again…
Pourtant, honnêtement, cela a été un vrai délice, une sorte de retour inespéré vers des sensations oubliées. Je croise un ami, lui aussi vétéran des années punks, qui me confirme que je n’ai pas rêvé : « Ah, ils ont quelque chose ! ». Je vais zoner au stand de merchandising où Henri, Austin et Tim accueillent gentiment les compliments de leur public. Séance d’autographes bon enfant. A côté de moi, une jeune fille fait signer à Henri sa plaquette de pilules contraceptives. Punk, toujours. Je félicite les petits gars pour le bonheur qu’ils m’ont apporté, j’aimerais évoquer X pour voir si ça leur dit quelque chose, mais il y a trop de monde qui se presse autour de moi. Pas grave, ils m’ont dit qu’ils repassaient par Paris en juin-juillet, et m’ont demandé si j’y serais. « Sure, man ! I won’t miss it ! ». Ce soir, moi aussi, j’aime L.A. !
Eric Debarnot
Les musiciens de Starcrawler sur scène :
Arrow de Wilde – vocals
Henri Cash – vocals, guitar
Austin Smith – drums
Tim Franco – bass
La setlist du concert de Starcrawler :
Castaway
Used to Know
Love’s Gone Again (Starcrawler – 2018)
Full of Pride (Starcrawler – 2018)
I Love LA (Starcrawler – 2018)
Ants
Let Her Be (Starcrawler – 2018)
Different Angles (Starcrawler – 2018)
What I Want (Starcrawler – 2018)
Pussy Tower (Starcrawler – 2018)
Train (Starcrawler – 2018)
Chicken Woman (Starcrawler – 2018)
tellement pompé sur Hole et Jack White ! Sans réelle personnalité. Surjoué dans l’anorexie n’amène pas le talent inédit…
Bonjour, il y a beaucoup d’influences en effet chez Starcrawler (même si je suis plus circonspect quant à Jack White, je parlerais plutôt d’une influence blues…), mais n’est-ce pas le cas de 90% des jeunes groupes d’aujourd’hui ? Sur ce sujet, si tu ne connais pas, je te recommande d’explorer la discographie de X, l’un des meilleurs groupes « punks » américains, précurseurs de la scène de LA. Et je dois dire que sur scène, Starcrawler est très convaincant.