Emmanuel Finkiel s’empare de l’ouvrage autobiographique de Marguerite Duras pour en faire un film plus sensoriel que littéral, porté par le talent de Mélanie Thierry et les mots, magnifiques, de la romancière.
Il y a les mots bien sûr, ceux de Duras. Il y a la mélodie Duras. Celle et ceux que l’on a entendu dans Hiroshima mon amour, dans L’amant ou India song, scandés alors par les voix magnétiques, inoubliables, d’Emmanuelle Riva, de Jeanne Moreau et de Delphine Seyrig. Ces mots si difficiles à mettre en image, cette mélodie si singulière à tenter d’approcher… C’est Mélanie Thierry, magnifique (enfin un rôle à la mesure de son talent), qui s’empare cette fois de la langue et de l’image de la romancière pour en restituer toute la volonté, la fragilité et la complexité aussi. Une romancière qui n’est plus la jeune Donnadieu, devenue Antelme, mais pas encore Duras.
Une femme dans la guerre et une femme résistante qui, en juin 1944 sous l’Occupation, va tout faire pour tenter de retrouver son mari, Robert, arrêté puis envoyé en camp de concentration (il écrira plus tard L’espèce humaine, nourrit par les souvenirs de sa déportation à Buchenwald puis à Dachau). Avant d’attendre, avant son retour, avant qu’elle ne s’abîme de ce possible retour. Emmanuel Finkiel a réussi un beau travail d’adaptation (d’appropriation) de l’ouvrage autobiographique de Duras, de son texte évidemment, mais surtout de son essence, de ses non-dits et ses interstices. Le littéral n’est pas de mise ici, n’a pas de prise, sinon les mots seuls, ces mots-là uniquement, ceux de Duras.
La reconstitution du Paris de 44 reste généralement un arrière-plan vague, une impression, puis soudain une évidence au détour d’un plan, et Finkiel privilégie l’ascèse, la retenue, et parfois même quelques notes d’étrange (silhouettes fantomatiques ou qui se dédoublent). Finkiel filme Marguerite avant tout, la saisit dans les affres de la douleur et du doute, cette douleur de l’attente, de ne pas savoir, de ruminer («Il faudrait […] arrêter l’exorbitation de la raison qui fuit, qui quitte la tête»), de se morfondre chez soi, les grands volets fermés souvent, ou dans les bras d’un collabo pour tenter de glaner deux ou trois renseignements sur ce qu’il adviendra de son mari.
Finkiel se fend d’un film sensoriel, en immersion, comme détaché du monde (flous, jeux d’ombre, plans déformés dans les miroirs), ce monde pourtant bien là, prégnant dans son atrocité quand l’on découvrait alors l’horreur des camps, l’inconcevable, ces corps décharnés aux yeux hagards, ces piles de cadavres et les chambres à gaz. Il est au plus près de Marguerite, à l’intérieur d’elle, de ses contradictions et de ses peurs (scène terrible où le retour de Robert est vécu comme un instant de panique totale), de cette douleur qui paraît altérer son réel, l’occulter. Dommage cependant que, sur les deux heures de film, les aspirations esthétiques de Finkiel finissent par se répéter, ne plus surprendre, s’épuiser de leur singularité, et La douleur de devenir un objet un peu froid, sec, à tendance hermétique, mais que portent jusqu’au bout ces mots-là, la mélodie Duras.
Michaël Pigé
La douleur
Film français réalisé par Emmanuel Finkiel
Avec Mélanie Thierry, Benoît Magimel, Benjamin Biolay…
Genre : Drame
Durée : 2h06min
Date de sortie : 24 janvier 2018