A travers ce documentaire sur la PME familiale menacée de fermeture, Aurel nous montre une France loin des projecteurs qui tente de résister à sa façon contre l’implacable mondialisation.
L’auteur est revenu dans le village qui l’a vu grandir, où son père dirige la menuiserie familiale. Bientôt en retraite, celui-ci aimerait qu’il reprenne l’entreprise, qui ne trouve pas de repreneur. Mais Aurel a choisi une autre voie en devenant dessinateur de presse. Ainsi, la question se pose de savoir comment gérer cette délicate phase de transition. Les ouvriers pourraient-ils reprendre eux-mêmes la PME au lieu de devoir chercher du travail ailleurs et de vendre les machines ?
« La menuiserie s’était transmise de père en fils depuis 4 générations. Mon père prendra sa retraite dans quatre ans. Je suis dessinateur de presse. Ma sœur, physicienne. Je serai le fils qui ne reprendra pas… ». Au début du livre, ce constat purement factuel de l’auteur sonne comme un aveu, peut-être difficile à énoncer mais au final totalement assumé.
En concevant La Menuiserie, Aurel est donc revenu à la source : le village où il a grandi. Adoptant un mode narratif qui rappelle beaucoup certaines productions d’Etienne Davodeau, l’ « enfant du pays parti à la ville » a interrogé ses proches, ainsi que les employés et collaborateurs de l’entreprise, actuels et anciens, et, après avoir consigné leurs propos, a décidé de les mettre en images.
A travers leurs mots, on perçoit la complexité des enjeux liés à la modernisation des produits (en l’occurrence les fenêtres comme cela est évoqué dans l’ouvrage) et à l’évolution des modes de vie. Mais ce sont d’autres thèmes plus vastes qui apparaissent également en filigrane : la mondialisation économique qui fait du tort aux petites fabriques locales, détentrices d’un savoir faire qui ne saurait faire le poids face à des pays où la main d’œuvre est si bon marché que l’on pourrait presque parler d’esclavage. C’est aussi de l’affrontement du monde nouveau et de l’ancien dont il est question, avec pour corollaire la désertification des campagnes au profit des villes. D’une certaine manière, ces gens s’efforçant de vivre au pays tout en y travaillant sont devenus des résistants à leur insu, nous obligeant à une prise de conscience sur nos choix de vie actuels, lesquels auront forcément un impact sur les générations futures.
Aurel a mené son projet avec humilité et sans esbroufe, de façon très humaine et à mille lieues de l’ironie pratiquée quand il aborde la politique en tant que dessinateur de presse. Si ce livre peut apparaître au départ comme une sorte d’excuse vis-à-vis de ses parents, grands-parents et ancêtres, de n’avoir pas repris l’entreprise familiale, il se transforme au fil des pages en un hommage plein de tendresse, ne serait-ce que par les recettes de sa grand-mère qui viennent régulièrement entrecouper les chapitres de l’ouvrage, où les très beaux lavis noir et blanc représentant son Ardèche natale.
Laurent Proudhon
La Menuiserie – Chronique d’une fermeture annoncée
Récit & dessin : Aurel
Editeur : Futuropolis
136 pages noir et blanc – 19,90 €
Parution : 10 mars 2016