Judah Warsky vient de sortir son 3e album, Avant/Après, le plus ouvert, le plus drôle, le plus poétique… en un mot le meilleur de sa courte carrière. Pour l’occasion, on lui a demandé d’évoquer 10 albums qui comptent lui.
Credit photo : VALERIAN7000
C’est l’un des albums les plus réjouissants de ce début d’année 2018, il est signé Judah Warsky et il est sorti sur Pan European Recording, le label de Flavien Berger, un garçon qui navigue dans les mêmes eaux que cet ancien membre de Los Chicros.
S’il on client des musiques de Flavien Berger, voire de Sébastien Tellier, on appréciera sans doute Avant/Après qui tranche pas mal avec ses deux précédents LP : Painkillers & Alcohol (2012) et Bruxelles (2014). Plus ouvert, plus drôle, plus poétique, plus « chanson de variété » – terme qui, précisons-le n’est plus un gros mot –, il confirme aussi que l’œuvre de Judah Warsky mérite d’être explorée et voire même qu’on s’y installe un moment.
Traducteur de métier pour le cinéma et le documentaire, le garçon sait aussi parfaitement traduire les émotions en musique et en chanson avec une grâce, un humour et une sensibilité qui rendent son style très personnel et en tout cas fort attachant. Pour aller un peu plus loin, on a demandé au parisien de nous parler de ses disques favoris.
Janvier 2018
5 disques du moment :
Einleit – Lovers Be Alert
Einleit est jeune, il est beau, il chante comme un dieu. Son album est paru le même jour que le mien, cette année on nique tout.
Alice Lewis – Imposture
Cet album vient de sortir récemment, et comme Alice est ma pineco, il tourne chez moi depuis quelque temps déjà. C’est un album sublimement écrit et arrangé, avec une chanson que j’ai dans la tête du matin au soir, « La Cause et le Remède », à tel point que j’ai fini par la plagier en pensant qu’elle était de moi. Heureusement, je m’en suis rendu compte avant de la sortir.
Barbara Carlotti – Magnétique
Ma chanteuse préférée. Comme pour Alice Lewis, j’ai eu le privilège d’entendre quelques titres de cet album qui paraitra plus tard cette année, des chansons un peu plus dark que celles auxquelles elle nous a habitués, notamment la magnifique « Le Mensonge », qui fait presque un peu peur.
Laurent Voulzy – Belem
Le retour du chef. Comme toujours chez Voulzy, des idées folles (le bruit de la mer du début à la fin de l’album), des influences affichées ostensiblement (Jorge Ben, Marcos Valle, Chico Buarque, Tom Jobim), des expérimentations électroniques (« Spirit of Samba part 3 »), et bien spur des mélodies magiques dont seuls McCartney et lui ont le secret, des chansons d’amour désarmantes de grâce et de sincérité (le sublime « Timides » qui ouvre l’album).
Pierre Vassiliu – Faces B
Le label Born Bad va sortir en février une compilation de titres moins connus de l’immense Pierre Vassiliu. Si vous ne connaissiez de lui que « Qui c’est celui-là ? », la 4 va vous étonner, et les autres aussi. Vous allez découvrir un chanteur tendre, un auteur impudique, un compositeur inspiré, une influence assumée de plusieurs chanteurs d’aujourd’hui (à commencer par Arnaud Fleurent-Didier), un artiste obsédant qui a rendu fou beaucoup de mélomanes, notamment mon frère Guido, qui est à l’origine de cette compile.
5 disques pour toujours :
Tim Buckley – Happy/Sad
Le titre l’annonce : toutes les émotions sont contenues dans cet album. Un disque apaisé et presque entièrement arythmique, où Tim divague sur des chansons aux structures éclatées atteignant parfois les dix minutes. « Buzzin’ Fly », « Dream Letter », « Gypsy Woman », je pourrais toutes les citer, c’est que des classiques, mais le sommet est atteint sur « Love From Room 109 at The Islander (On Pacific Coast Highway) », à faire pleurer un mort.
They Might Be Giants – Lincoln
J’avais dix ans quand j’ai découvert cet album, et plus je l’écoute, plus je me rends compte à quel point il m’a formé. Chansons cheloues au structures pétées, synthés Casio et boites à rythme en bois, arrangements vocaux plus savants qu’ils n’en ont l‘air, et ces textes comme des romans de Cortazar, où l’humour et l’absurde masquent mal une trop grande sensibilité.
Julee Cruise – Floating Into the Night
La base. Composé par Angelo Badalamenti et produit par David Lynch, un album qui flotte entre rêve et cauchemar, qui fournira la bande-son et donnera le ton à tout Twin Peaks – car l’album préexiste à la série, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Laurent Voulzy – Bopper en larmes
Voulzy préfère les singles, et il n’a sorti dans les années 80 qu’un seul album entre une dizaine de tubes radio que toute la France connait. Comme s’il faisait le White Album à lui tout seul, il y dévoile toutes ses envies musicales qui dépassent beaucoup trop largement le format single.
On y trouve du dub, de la pop californienne, de la samba, du Police période Synchronicity mais chanté en créole, de l’électro-pop en allemand… Des chansons où il se passe mille choses alors qu’elles durent moins de deux minutes… Et d’autres au contraire qui continuent alors qu’elles devraient être finies, comme si personne ne les avait prévenues – je pense à « Ricken », sa coda interminable pleine de moments de vide et de presque-rien musical de plus en plus goodants, où on se laisse flotter jusqu’à l’arrivée des chœurs qui nous élèvent encore plus haut, c’est à peine croyable. Melody Nelson a attendu trente ans avant d’être reconnu à sa juste valeur, Bopper en larmes en aura trente-cinq cette année, il est temps de réagir.
Leonard Cohen – The Future
Mon maitre à écrire. Son sens de l’économie est pour moi un horizon. En 1992, il a vu le futur et a décidé d’en faire un album, où il aligne quelques-unes de ses plus grosses punchlines :
« La vie privée va bientôt exploser. » (il avait vu juste)
« Le chef d’orchestre dit que c’est Mozart, mais quand on attend un miracle, ça ressemble à du bubble-gum. »
« Les bourreaux haut placés disent leurs prières à voix haute. »
« De loin, on dirait la liberté, mais quand on y est, c’est la mort. »
« Je me suis agenouillé devant le delta, devant l’alpha et l’oméga, devant le berceau des fleuves et des mers ; et comme une bénédiction venue du Ciel, pendant environ une seconde, j’étais guéri, et mon cœur s’est tranquillisé. »
Et, à la fin de l’album, « Tacoma Trailer », un instrumental, parce qu’il a tout dit.
Cet album me met dans tous mes états. Pour moi c’est une des plus grandes œuvres d’art jamais réalisées par un être humain, tous moyens d’expressions confondus. Ça n’a même pas d’équivalents en musique, en littérature peut-être. C’est La Divine Comédie avec des synthés.
Judah Warsky – Avant/Après
Nouvel album paru le 19 Janvier 2018 sur Pan European