Très vite passé à la trappe à la rentrée, le dernier roman de Léonor de Recondo retrouve de nouveau une pile sur la table des librairies avec un bandeau de très bonne tenue : Prix des étudiants France Culture/Télérama. Une occasion pour reparler de ce roman aux élans plus pédagogiques que littéraires.
Credit photo : Emilie DUBRUL
« Amours » et de « Pietra Viva », précédents romans de Léonor de Recondo avaient enthousiasmé de nombreuses lectrices et lecteurs. Après des secrets bourgeois et lesbiens magnifiés par un texte délicatement ciselé, voici l’auteure s’attaquant à un sujet vraiment plus casse-gueule : le changement de sexe.
Laurent, marié avec Solange son amour de jeunesse, deux enfants adolescents, cadre dans une entreprise d’éoliennes, a de plus en plus de mal à cacher la personne qu’il sait être réellement au fond de lui : une femme. Depuis quelques temps, habillé en créature un peu idéale, il fréquente secrètement le Zanzi, bar où se retrouvent d’autres transgenres comme lui. Mais l’absence de son épouse et de ses enfants pendant trois jours seront le point de départ d’une révélation qui, on peut s’en douter, bouleversera sa vie, celles de ses proches et de ses collègues de bureau.
De plus en plus traité au cinéma comme en littérature, la notion de genre et surtout la difficulté à être autre que ce que la nature a décidé, demeure un sujet encore tabou ou tout du moins très délicat. L’homosexualité a encore du mal à passer, alors la transsexualité… on n’ose pas imaginer ! C’est sans doute avec une volonté toute pédagogique que Léonor de Recondo semble avoir conçu son roman comme un petit plaidoyer sur la tolérance, la différence, l’acceptation de soi. L’entreprise est généreuse mais ratée.
Cela s’appelle « Point cardinal » mais » Le changement de sexe pour les nuls » aurait été plus approprié ou même « Oui-Oui devient une fille« . A vouloir donner à son histoire un caractère tolérant, simple et à la portée du premier venu ( il faut convaincre un large lectorat), le roman s’enfonce dans une sorte de sitcom improbable, presque gnangnan, en tous les cas trop belle pour être crédible. Le style vise la simplicité, la phrase n’est pas en reste. On rajoute quelques jolis clichés pour faire avancer l’action et une profondeur psychologique de téléfilm de deuxième partie de soirée sur la TNT, sans aucune réelle mise en perspective. Tout coule de source dans cette histoire parce que voyez-vous, tant que l’amour circule, tout va bien. On prend des hormones, puis on file en Belgique se faire opérer et hop Laurent devient Lauren et elle peut ainsi enfiler des culottes de soie sans avoir à aplatir son sexe. Et donc, un homme qui se sait femme, c’est enfiler quelques attributs assez connotés, de beaux et longs cheveux blonds, des robes moulantes et des sous-vêtements en soie, comme si pour un transgenre la féminité ne se réduisait qu’à ces stéréotypes…)
Tous les personnages, nullement attachants, épousent un caractère unique ( pourquoi embêter le lecteur avec de l’ambiguïté ? ) : Laurent veut être une femme un point c’est tout, l’épouse est aux cents coups mais l’aime toujours et sera donc exemplaire, les enfants renâclent ( les teignes !) , les collègues sont surpris. Tout ce petit monde, brossé à la truelle, n’est qu’une accumulation d’archétypes consensuels. Se sentir femme pour un homme ce n’est pas simple mais en lisant « Point cardinal », on peut se demander si tous ces reportages sur les affres du changement de sexe ne nous racontent pas des craques pour nous émouvoir. En contant cela comme une randonnée en escarpins au pays des hormones et des perruques peroxydées, Léonor de Recondo a réussi son changement de genre, elle est passée d’auteure brillante à romancière de gare… Elle va pouvoir s’acheter des kilos de culottes en soie… Dommage pour nous…
Reste la question première : mais pourquoi les étudiants ont-ils choisi ce roman ? Tout simplement dans la sélection proposée par les deux médias, c’est le seul qui parlait d’aujourd’hui… N’allez pas croire que c’est par facilité de lecture !
Pierre Darracq
Point cardinal
Roman de Léonor de Récondo
Editions Sabine Wespieser
232 pages – 20 euros
Parution : 24 août 2017